Mois : janvier 2012

Jouhan­deau vis­ite au cimetière de Mont­par­nasse l’al­lée où ils aura sa tombe, s’ar­rête devant le car­ré de terre retournée où elle sera enfouie.

Vient le jour où la trace numérique sera notre seule biographie.

Les grands se trompent par­fois grandement.

La qual­ité de l’hu­mour est en baisse. Toute une indus­trie s’en­tend à rabat­tre l’hu­mour sur la pitrerie et la qual­ité de l’hu­mour baisse. La nour­ri­t­ure a subi le même sort en Amérique. Plus de sucre, et le goût s’é­mousse. Les adultes man­gent comme les enfants. Aujour­d’hui les adultes rient comme les enfants. La sub­til­ité déserte le rire comme elle a fui le goût.

L’ac­tion est le tombeau de l’e­sprit. Si l’on croit en Dieu, c’est d’ac­cord, sinon qu’e­spère-t-on? Témoign­er auprès des hommes de ces ful­gu­rances qui sai­sis­sent l’e­sprit créa­teur afin de racheter nos souf­frances ? Ou se servir des oeu­vres pour pavé un chemin vers un nou­veau monde? Mais voilà que revient Dieu…

Le tra­vail de créa­tion plonge dans un état où perce soudain une joie vive et courte qui déjà dis­paraît  — jus­ti­fi­ca­tion de ce qu’on fait, et par là, de tout ce qui est.

Avant d’aller dîn­er chez Wilmar dans le quarti­er de la syn­a­gogue dont il abhorre les appels à prière comme il abhorre les cloches du tem­ple voisin, nous pas­sons à l’épicerie indi­enne du Sim­plon acheter de la bière. Aus­sitôt dehors, Gala bouche son nez, se plaint de l’odeur de banane, de chair putride et d’en­cens. Elle a rai­son, mais pour qui voy­age en Inde c’est le par­fum de la vie. Ce qui étonne c’est qu’au cen­tre de Lau­sanne le cou­ple d’in­di­en ait recréée l’odeur dans laque­lle il mijo­tait à Madras ou Ban­ga­lore. Gala insiste. Jamais je n’i­rai. Moi qui voulait l’emmener à Benarès, loger dans la citadelle et regarder les morts arriv­er des cam­pagnes. Jamais. Et nous voilà clopin-clopant, dans les rues vides d’un dimanche de jan­vi­er, à Lau­sanne, mais la nuit je remonte à bord d’un bateau inondé une riv­ière bourbeuse qui pour­rait être le Gange et quand je m’ar­rête le long d’un ghat, à l’épicerie les deux indi­ens mon­trent à mes pieds, autour de mes pieds et aus­si sur mes pieds des mil­liers de cafards. A quoi je réponds à part moi de crainte de vex­er ces com­merçants extralu­cides: imbé­ciles d’in­di­ens qui ne savent pas recon­naître des pruneaux écrasés!

Bel­le­garde sous la pluie de midi. Le mag­a­sin de sport face au Car­refour a fer­mé. Un mag­a­sin d’habits pour enfants s’est ouvert dans ses locaux. Le mag­a­sin d’habits pour enfants vient de fer­mer. Chez Car­refour, c’est l’heure molle. Calée dans on fau­teuil, le men­ton triple, la peau bou­ton­neuse, une cais­sière fixe la rangée des caiss­es: toutes sont fer­mées sauf la sienne. Je me réjouis de ren­tr­er. J’ai le droit de ren­tr­er. Je serai bien­tôt ren­tré. Ren­tré je n’au­rai rien à faire sinon manger, lire, écrire. Pas elle. Elle doit rester. Elle doit rester assise. Et il pleut. Et il est midi. Que midi. Pas de chance.

Gala repar­tie sur la Côte-d’Azur. A peine arrivée, elle écrit, je bois du cham­pagne, j’ai mal au ven­tre, je suis invitée… et toi? Je lis Calaferte, Hadot, Stiegler, je fais du vélo dans l’ate­lier, je bois de la verveine, j’é­coute Bios­phere, je nour­ris le chat, j’ap­pelle l’av­o­cat, que le compte à rebours se fasse.

Pre­mier chapitre du livre sur mon père. Enter­re­ment de Fran­co en 1975. C’est comme si j’y étais. D’ailleurs j’y étais. J’é­tais avec mon père, sur les bor­ds de l’au­toroute qui mène à l’Esco­r­i­al, et pour ce qui est de Fran­co, ce jour-là, qui mène à la Val­lée des Tombés. Petite scène inau­gu­rale pour don­ner chair à cet ambas­sadeur de Suisse empris­on­né vingt ans plus tard. Voyons si j’ar­rive à tenir grâce à mes six mains trois man­u­scrits en par­al­lèle: la biogra­phie de l’am­bas­sadeur, Trou­ver de nou­velles armes, Easy­jet. Juin nous le dira.