Carle a envoyé un message. Il y a six mois, elle avait proposé de se voir. Puis rien. Et aujourd’hui, ce message. Une fois je t’ai aperçu à Lausanne, j’étais tétanisée, écrivait-elle. Mais cette fois elle ne recule pas. Nouveau message: est-ce que je viens à Lausanne? Cela ne me ferait-il pas plaisir de la revoir? Dix minutes et je serai à nouveau amoureux. Je le lui dis (elle me le rappellera avant de rentrer chez son mari, par le dernier train, et demande: alors?) Nous prenons rendez-vous pour mercredi. Je suis à la bibliothèque, au deuxième étage, un des bibliothécaire me montre un présentoir où il a mis mon ouvrage en exposition. Mon téléphone sonne. Elle est en bas. Je salue trop vite. Je prends mon souffle et me trouve devant Carle. Nous sortons sans nous regarder. La porte-tambour, très utile. Nous marchons dans les rues basses, nous buvons du chocolat. Plus tard, elle doit assister un auteur parisien qui signe ses livres chez Payot. Je l’attends au froid, je me mets à boire. Je vais pas entrer là-dedans. Quand elle a fini, elle m’apprend qu’elle doit rentrer mais que si je veux bien, elle restera avec moi. Nous buvons. Petit verre pour elle, grand pour moi. Une, deux, trois tournées. Quatre. Cinq. Puis part le dernier train. Avant de sortir du bar, je traverse la salle et demande à une gamine qui est assise là avec ses amies si elle veut bien m’attendre. Sur le quai, Carle dit qu’elle ne croit pas que la gamine m’attendra. Elle ajoute: je suis jalouse. Le train part. Je retourne au bar. La gamine est là. Elle est française, elle est russe. Elle est gamine à l’oeil rond et pétillant. Elle fume bon marché. Ce qui la tracasse: savoir où elle mangera demain, comment tenir encore. Nous allons dans un squat, au milieu de la nuit, je la ramène chez moi. J’ai assez bu, mais je bois encore. Une façon d’hésiter. De dire non. Elle sourit. Son calme impressionne. Peut-être du désespoir. Elle s’en va. Je déroule mon sac sur le sol de la cuisine. A l’aube, Carle écrit un message.