Les feuilles planent, tombent, la température baisse, l’hiver vient — comme chaque année la chaudière tousse, elle cale. J’appelle le plombier. Victor n’est pas au village. Il est à hue et à dia, les chaudières des Pyrénées ont toutes calé, il viendra “dès que je peux”. Du jardin, je monte des bûches. Or, il a plu. Je fais sécher. J’allume. Le feu peine. Il ne fait pas froid. Dans la soirée, la maison prend quelques degrés. A dix-huit heures, cours de Pilates dans la bibliothèque communale puis résultat des élections dans l’Empire américain: on veut croire à une amorce de démondialisation. Si Kennedy devient ministre de la santé, lui qui croit que le virus est politique, ira-t-il jusqu’à monter des tribunaux ? En attendant, j’écoute Meth et Chat Pile, j’achète des billets d’avion pour le Mexique, je recommence mes envois aux éditeurs de “Gouvernance et Gaming — Scénarios pour un esprit artificiel”. Le lendemain, l’un des éditeurs sollicités répond: “sur ces sujets, nous n’acceptons que les travaux universitaires”. Allia, qui n’a pas accusé réception du manuscrit envoyé fin juin publie ce jour d’Adorno “Combattre l’antisémitisme”. On ne peut mieux (plus mal) choisir le moment. Moi qui suis amateur d’Adorno et admire sa figure intellectuelle, je préfère retenir en matière de fourvoiement sa contribution à l’abominable “Etudes sur la personnalité autoritaire” dont il a d’ailleurs, avec honnêteté, fait la critique et dénoncer la responsabilité.
Week-end
Trois jours sur les bords du lac de Neuchâtel, à Bevaux, avec Gala, Aplo et Luv, et son ami, un aimable étudiant à boucles d’oreilles et pantalon bouffant. Le propriétaire de la location allume un feu dans une soucoupe géante posée sur le gravier du jardin. Aplo sculpte une citrouille. Il m’offre un abonnement UFC. Le lundi et le mardi, chacun repart dans sa direction, Gala Lausanne, Aplo Genève, Luv Neuchâtel, pour moi l’Espagne, via le camping de l’Isle-Blanc et ses centrales près Montélimar.
Schweiz
Après huit heures de route au départ de l’Allemagne, récupéré les socles de bois qui serviront d’assise pour le cube à la scierie de Zollhaus, en contrebas du Lac noir. Comme le périmètre de l’usine ferme à 19h00, il faut cacher une moitié des socles — ceux qui ne tiennent pas dans le van — derrière un stand de tir abandonné si l’on veut en disposer avant lundi. Je viens de payer ce matériel Fr. 1700.-. Et alors? Le service n’est pas compris. Gala déposée à l’hôtel de Swartzenburg, Domo et moi revenons à Zollhaus, chargeons le reste des socles, roulons sur le Pont de Berne, déchargeons le stock en vielle-ville de Fribourg, puis je reviens à Schwartzenburg, dans le brouillard, la nuit, manquant écraser un fou qui marche le long de la route et sur la route, un fou qui marche de nuit, sans torche.
Culture
Magnifique Bavière à Waal. Tables de bois à l’auberge, bock de blonde servis par de jeunes gens blonds, marronniers centenaires derrière les fenêtres à croisillons, clocher à bulbe et une chambre au parquet vernis qui occupe un demi-étage. Terre riche, paix, langue, un havre pour l’esprit.
Mosonmagyaróvár 2
Bourg plat, endormi, sans âge. De la lumière jaune derrière les fenêtres à rideaux. Des couturières en fichus dans les cours pavées, en vitrine des robes de mariées, dans le canal du vieux moulin de l’eau claire. Sorti d’un café pour alcooliques, un nain se précipite à notre rencontre. Il me tend la main, demande d’où je viens, demande où je vais, demande de l’argent. Sous un grand crucifix, une fille fait le trottoir. La brume accroche à nos semelles. Retour à l’hôtel, le Simbad (et ses bains d’eau de source). J’évite de manger. Me remplis de bière. Gala commande un canard. Patates farineuses, sauce à grumeaux, légumes mous. Elle rapporte son plat à la serveuse: “donnez-ça aux chiens!”.
Guide-ânes
Au Kiskakukk, le restaurant vieille Hongrie de la rue Pozsonyi, côté salle boisée, avec ma belle-mère que je remercie de son aide dans la négoce des cubes et du prochain transport vers la Suisse rendu possible par un de ses contacts. Autour de notre table, des Asiatiques de toute l’Asie. Dix, douze, quinze. Des audacieux venus au Kiskakukk sur la foi d’un guide touristique pour Asiatiques. Gala, Chiara et moi sommes les seuls à manger, boire et converser. Les Asiatiques décryptent le menu, commandent du bout du doigt, photographient leur plat, goûtent, picorent, paient, s’en vont. Pour cause: ils ne viennent pas manger, ils visitent. Et pas un pour boire. Des verres d’eau.
Monory city
Le quartier chinois de Budapest, une rue au milieu d’une friche, pleine de Chinois, des Chinois qui transportent, négocient, palabrent, avalent des nouilles et jouent aux cartes, comptent leur argent et leurs avoirs, briquent des Lexus, des Porsche, des Mercedes. Je cherche du tissu technique en rouleau pour l’emballage du cube. Domo a contacté une courtepointière suisse, elle a donné les indications. Porte à porte toute la matinée. Des soutiens-gorge, des panneaux solaires, des pousses de soja, pas de tissu. Dans une cour intérieure, derrière une fontaine en stuc décorée de pandas adultes, des palettes brisées, des déchets de carton, des quenouilles de cellophane et au sol, deux carcasses de cochons sanguinolentes. A la fin, je demande à un Chinois s’il parle anglais. Il ne parle pas anglais. Je repars bredouille à travers les banlieues qu’Orban rase ici et là par coupes sombres pour bâtir des stades ovoïdes, rectangulaires, sphériques, des stades géants, enclos derrière des grilles, désespérément vides, qui affichent des messages électroniques: Steffie Graf tennis exhibition, Pantera metal night, Another Brick In The Wall international show…
Cubetraining TM
Nos dix premiers cubes d’entraînement de 1 m³ rangés sur palette dans l’entrepôt de la multinationale Polifoam en banlieue de Budapest — j’admire, je me réjouis. Près d’une année et demie de travail depuis la création du prototype au FabLab de l’Université de Saragosse. L’opiniâtreté paie. Au lieu de dépenser Fr. 10’000.- comme le demandaient les agences de design “souris et Nespresso”, juste pour les plans, compte non-tenu de la fabrication, j’ai obtenu dix cubes pour le prix de Fr. 2000.-.
Mosonmagyaróvár
Hôtel Minerva, un édifice à l’architecture social-réaliste, à peine éclairé. D’emblée la réceptionniste, une filiforme gothique (ou dépressive) prévient: “les chambres ne sont pas chauffées”. Gala proteste. Elle obtient un ventilateur de poche. Branché sur la table de nuit, l’air chaud remue autour des meubles cassés de vieilles odeurs. Au petit-déjeuner, techno-FM magyar. Je fais assourdir le chahut. “Les clients aiment”, fait valoir la femme de ménage. Or, nous sommes les seuls clients.
Munich
Résidence à Obermenzingen, au camping. Au fond du terrain, derrière les arbres, des Australiens plient les restes des “after-hours” de la Oktoberfest. Le bar à bière est au repos, ce qui m’oblige à approvisionner le frigidaire du bord en Augustiner et Hacker-Pschörr aux étalages du Edelka. L’après-midi, nous visitons la Lembachhaus, le musée des expressionnistes du groupe Blau Reiter. Sous le temple grec de la Königsplatz, des dizaines de clochards d’Afrique. Qui dorment, se saoulent, divaguent. Devant un camion vert de la gendarmerie, un policier observe les bras croisés, le regard dans les nuages. Exposition temporaire Beuys, ce charlatan. De superbes paysages de Kandinsky, période avant-maturité et des toiles théosophiques au délire ajusté. Retour en bus dans notre banlieue boisée les vans étant interdits de pénétrer dans la ville. Le soir, recherche d’un restaurant à l’ancienne. Dînons dans une auberge de 1660 avec des familles bavaroise sorties de terre et festives, et endimanchées, sous des hures de cerfs, chamois, chevreuils, marcassins.