Grave (suite)

Trois cent qua­tre-vingt march­es pour remon­ter au camp­ing depuis la plage. Je vois que je peux. Déjà j’en­vie ces coureurs qui grimpent au trot. 

Zarautz 4

Leçon de surf. Voilà au moins ce que je peux trans­met­tre à défaut de savoir surfer. Com­bi­en d’an­nées ai-je passé à rêver de mon­ter sur la planche? Com­bi­en d’ef­forts, de cours, de “spots”. Com­bi­en d’oc­ca­sions de Kuta Bali à Bon­di Beach en pas­sant par le Maroc et Cuba? Aujour­d’hui je maîtrise la théorie et suis tou­jours aus­si inca­pable. La leçon est don­née au camp­ing, devant la camion­nette: courants, bahines, “duck div­ing”, etc. Sur les quais nous louons une planche et cha­cun son tour Aplo, Luv, même moi — pen­dant quelques sec­on­des, mais la mer est déchaînée — nous mon­tons sur la planche, nous surfons. 

Zarautz 3

Après Bil­bao le Tour de France fai­sait une boucle par la Bis­caye. Il emprun­tera la route côtière en début d’après midi, l’é­tape du jour finit à Bay­onne. Au restau­rant, nous man­geons sous un téléviseur qui dif­fuse la course en direct. La salle com­mente les images, le patron et sa femme nom­ment les endroits tra­ver­sés. Les enfants s’é­ton­nent: “nous allons sor­tir de la salle et les coureurs appa­raîtront, juste devant nous!”. 

Zarautz 2

Sous le mont vert fougères, des rocs escarpés plan­tés dans la mer. Il pleut. Des nuages passent. Le soleil passe. Il pleut. Au large, des mou­ve­ments d’eau. Devant la plage, des vagues hautes et gris­es que sur­v­ole l’éc­ume. Elles cassent. Temps incer­tain pour un Espag­nol, même basque. Ce pre­mier jour, seuls les Nordiques sont à la plage. Nous nageons dans le courant, heurtés de plein fou­et. Nous dînons sous l’au­vent de la camion­nette, les pieds dans la boue. 

Zarautz

Vil­lage bal­néaire en Guipuzkoa et choix judi­cieux. Les enfants voulaient surfer. J’ai sug­géré la côte Nord du Por­tu­gal. Cela me per­me­t­tait de tra­vers­er l’Es­pagne en camion­nette, d’établir des bivouacs au pas­sage, de les recevoir à l’aéro­port de Por­to. Mais il y avait la dis­tance — plus de 900 kilo­mètres — et ces pho­togra­phies d’une côte sauvage, aride, peu habitée. Nous avons décidé de rester en Espagne. La veille du départ pour Bil­bao, là où les enfants atter­ris­sent, je croise l’in­vité de mon voisin, un Basque. Quand il apprend que je suis allé à Zarautz il y a vingt-cinq ans, il me dit: “vous ne recon­naîtrez plus rien!”. A midi, nous man­geons des tapas dans un faubourg de Bil­bao blo­qué par le pas­sage du Tour de France. Un habitué du quarti­er nous explique com­ment quit­ter la zone en con­tour­nant les bar­rages de police. Nous trou­vons une autoroute déserte. Un heure plus tard, nous instal­lons la camion­nette sur une colline verte de pluie au dessus de la baie de Zarautz. Com­mence ma pre­mière ten­ta­tive de vacances en camp­ing avec un matériel qui me met au rang de la con­cur­rence: table et chais­es, auvent et cui­sine de cam­pagne, glacière et bac à vais­selle. Les autres clients par­lent hol­landais et alle­mand. Quelques Belges, peu d’Es­pag­nols. Nous avons notre par­celle. Deux arbres en mar­quent la lim­ite. Dans ce périmètre, je dresse la tente mono­place que j’u­tilise pour le bivouac à vélo; Aplo et Luv dor­ment cha­cun à un étage de la camionnette. 

Et bien sûr

Si les extrater­restres atter­ris­sent, ils par­leront anglais.

Elias Canetti

“Le plus dif­fi­cile est de trou­ver un trou par où tu pour­ras te gliss­er hors de ton œuvre.” Le ter­ri­toire de l’homme, 1960.

Rivière

Arrivé sur le ter­rain de Piedral­ma pour qua­tre nuits, le ciel se déchaîne, il pleut. C’est l’Es­pagne, même au fond d’un défilé le soleil ne devrait tarder; je me trompe. Les pom­miers trem­blent, les pins sec­ouent, le chant de grenouilles rem­place celui des oiseaux. Entre deux avers­es je sors du van, mets en route la débrous­sailleuse, fauche les hautes herbes qui grimpent autour du dôme. Puis il tonne, des éclairs déchirent les nuages, je dois lâch­er la besogne. Sept livres de philoso­phie, cela parais­sait ambitieux pour qua­tre jours. En fin de compte, j’au­rai tout lu. Car si l’on se baigne comme jamais dans la riv­ière, la fonte des neiges ajoutée aux rav­ages de la pluie noient entière­ment le pont. D’abord, je crois pass­er; le lende­main, il n’y a plus de doute: je suis coincé. Evola avec sa Jeep réhaussée se refuse à pren­dre le risque. C’est dire avec mon van de deux tonnes sur petites roues. Chaque matin je vais au pont. Et chaque matin j’en reviens dépité. L’eau roule un flot de plus d’un mètre sur la chape de morti­er. Alors je lis et je débrous­saille. Le soir je rejoins Evola devant sa car­a­vane qui tout l’après-midi s’oc­cupe de ven­til­er la bouse de vache dont il veut faire son engrais, nous nous ser­rons sous le para­sol, nous prenons l’apéri­tif (bière pour moi, vin-Coca-Cola pour lui). Nous ren­trons les épaules mouil­lées et de la boue accrochée aux godass­es. A la fin de la semaine, j’aver­tis le vil­lage. Same­di se tient la cyclo­touriste et je fais voiture-bal­ai sur l’it­inéraire des 170 kilo­mètres. Dès la veille, j’é­tais req­uis pour balis­er de fan­ions le cir­cuit. Mais l’eau con­tin­ue de ron­fler sur le pont, il faut renon­cer. Alors je me baigne, je retourne à mes livres, je dors mes onze heures par nuit.

Fonctionnaires

Caté­gorie des opposants à la vie.

Partir

C’est quit­ter ce qu’on est pas.