Plus d’une fois, à la faveur de la nuit, je me trouve dans un bâtiment brisé, portes et fenêtres au sol, au milieu de meubles tordus, sur un matelas qui me tient lieu de refuge et couché je regarde dans la rue conscient d’être de retour dans le seul monde qui me plaît, celui des squats, du grand désordre, pour constater alors, penché sur les trottoirs qui circonscrivent le bâtiment que le schéma d’occupation s’est élargi, que de plus jeunes que moi ont colonisé les alentours, qu’ils habitent le pied des façades, reposant, fumant, buvant, sans égards pour le reste de la société avec, par exemple pour ce couple que je ne connais pas, entre lui et elle, un bébé au front marqué d’une ecchymose que nul ne soigne, l’enfant, comme ses parents, squatter, ce que voyant je me dis:
-Ils ne pensent qu’au présent et ils font bien, pourquoi faut-il que je pense, encore et toujours, à l’avenir?
Squat
Extinction
“L’Université a définitivement gagné.
Tout est devenu si instantanément et si platement universel que l’art, à savoir le culte de la séparation, est devenu impossible, et avec lui, tout espoir d’une authentique culture.
L’Université a gagné, signifiant là sa perte.
Elle sera peu à peu remplacée par une branche de l’industrie de l’art et des loisirs, la division spécialisée d’un consortium de musées, de zoos et de parcs à thèmes.
Il sera interdit de lancer de la nourriture aux professeurs d’art et de philosophie.“
Maurice G. Dantec, Le théâtre des opérations, 2000–2001.
Tri
Dans le Quatrième cahier des Réflexions sur la vie et le bonheur, Marcel Jouhandeau interrompt soudain le rachat devant Dieu de la pédérastie pour noter: “Le visage que le génie des Grecs a de près ou de loin masqués, influencés, que Rome a longtemps administrés reflète l’habitude millénaire d’une hauteur de vue et d’une discipline qui leur permet d’être libre impunément. Au contraire, la face du Slave et le comportement des nations jeunes, plus ou moins barbares qui se manifestent aujourd’hui révèle un manque total d’éducation qui justifie presque le recours au despotisme. Il manque à l’humanité actuelle d’avoir fait ses humanités.”
Epicerie
Le mercredi vient au village le poissonnier Oskar. Il dételle deux remorques sur la place, ouvre ses éventaires de fruits, légumes et utilitaires (de la farine au savon), et se juche au-dessus des poulpes et des crabes, des morues et des coques. Dans un frigorifique, empilées, les saucisses et les viandes. Pour annoncer sa venue, il klaxonne. C’est inutile. Les voisines savent. Sa ronde des Vallées occidentales est bien maîtrisée. Il est ponctuel. Au signal du Klaxon, je ne bouge pas. Car il y a un ordre de préséance. La doyenne du lieu passe la première, elle a 94 ans. Suivent la tenancière de notre bar, le “Lierde”, puis la paysanne et la femme du guide. Si je m’avance avec une demi-heure de retard, il n’est pas rare que j’attende encore, car ces dames discutent recettes et marée, neige et température, et surtout santé. Aujourd’hui, j’ai rempli mon cabas avec générosité afin de n’avoir pas à quitter Agrabuey avant le départ pour la Suisse dans huit jours. Trois gousses d’ail, un oignon géant, six tomates cœur-de-bœuf, deux cent grammes d’haricots, 12 œufs, un chou fractal, une laitue, dix patates, un concombre, un saucisson sec et des carottes on coûté 18 Euros.