Journal d'inconsistance

Je doute arriv­er jamais à cette grande qual­ité d’écri­t­ure. Ce n’est pas fausse mod­estie, j’ai fait et je fais des pro­grès, mais le compte est loin d’être bon. Ces jours, je recopie pénible­ment (le man­u­scrit est dif­fi­cile à relire) La table: les mots sont mal placés, les adjec­tifs impro­pres, les phras­es alam­biquées. A ma décharge, il s’ag­it d’un pre­mier jet écrit au fil de la plume quand les livres pub­liés sont passés par des dizaines de relec­tures et plusieurs relecteurs, mais juste­ment: à force de me cor­riger et d’être cor­rigé, je m’at­tendais à une écri­t­ure spon­tanée de meilleure fac­ture. Ajou­tons que je ne suis pas doué pour la fic­tion. Plus c’est abstrait, plus je développe une langue claire; et inversément.

Grand écrivain celui qui ne respecte pas les règles, fait faux et fait bien car c’est meilleur ainsi.

La coupure his­torique, dans langue prim­i­tive des Améri­cains “can­cel cul­ture”, à pour but d’empêcher les généra­tions à venir de regretter.

Les très grands cap­i­tal­istes promeu­vent la dépos­ses­sion (“All you need is less”)

Ami­tié spon­tanée et directe avec Octavio, l’élec­tricien qui pour la troisième fois vient dans la mai­son; tout nous dis­tingue, nous échangeons comme lar­rons en foire. Peu fréquent, cela mérite men­tion. Beau­coup d’in­con­nues dans ce type d’ap­pareil­lage entre les hommes. Pos­si­ble que cela remonte loin. Ou tienne à des com­posant du car­ac­tère que cha­cun ignore posséder. 

A nou­veau en ses­sion cette nuit, je trans­portais de table en table au milieu des élèves qui déjà plan­chaient sur leur devoir un tas de papi­er découpés et illis­i­bles ne trou­vant à m’in­staller que sur un buf­fet de petit-déje­uner vers lequel con­fluèrent aus­sitôt tous les clients de l’hôtel.

Au cen­tre du ter­rain, l’ar­bi­tre dépose un bal­lon rond. Milieu du match, il attire l’at­ten­tion des joueurs sur un  prob­lème: le bal­lon a per­du en ron­deur. Il est rem­placé par un bal­lon ovale. Les règles sont changées. Pas une déci­sion, une néces­sité: aux joueurs de s’adapter. Le match reprend. Nou­veau prob­lème, le bal­lon ovale a des angles. Qu’à cela ne tienne, il suf­fi­ra de mod­i­fi­er quelques règles. Un spé­cial­iste explique com­ment s’adapter. Quand le match touche à sa fin l’ar­bi­tre ne sif­fle pas, il prévient : en ver­tu des nou­velles règles, la match peut dur­er plus de temps que la nor­male. Et ajoute: “pour les règles, nous avons des spé­cial­istes qui vous expli­queront au fur et à mesure”.

Dans la rue je croise ce soir des habi­tants qui ne sont pas revenus au vil­lage depuis dix mois empêchés par les folles régle­men­ta­tions de quit­ter les villes cap­i­tales, Madrid, Barcelone, Saragosse. Per­son­ne ne tient à par­ler poli­tique, l’amer­tume l’emporte et une cer­taine rage. Devant l’avenir ou en rai­son des frus­tra­tions récentes ? Je ne sais. Pour les plus éclairés, l’un et l’autre. Aus­si, cer­tains sont d’un grand âge: on ne mesure pas les restric­tions de la même manière à vingt ans qu’à sep­tante. Pour ceux qui font acte de con­fi­ance et adorent le pou­voir, je com­prends, leurs argu­ments sont offi­ciels. Pour les autres, cela s’ap­par­ente à une expéri­ence en matière de con­fis­ca­tion du libre droit de déplace­ment mais aus­si, peut-être est-ce encore plus grave, du libre droit de dis­pos­er de ses biens. Une pre­mière expérience.

Les médecins du gou­verne­ment sont prophètes, les médecins qui sont médecins des voyous.

Boire ensem­ble dans le plus grand désor­dre fes­tif, à force de con­ver­sa­tions join­dre le jour et la nuit.