Genève

Décidé cet après-midi de par­tir pour Mahon, Minorque. Grand hôtel blanc, cher et médiocre aux Charmilles, près de l’aéro­port de Coin­trin, où le récep­tion­niste, un français sym­pa­thique qui a un prob­lème de bou­ton à sa veste de cos­tume, pré­tend encaiss­er un “droit de séjour can­ton­al” de Fr. 7,50. en sus du prix mirobolant de la cham­bre, une cap­sule inté­gra­tive pour représen­tant en aspi­ra­teurs. Mir­a­cle, après avoir pro­test­er que je paie à Genève, je tire d’un dossier l’ex­trait d’in­scrip­tion au reg­istre du com­merce de ma société et la taxe saute.

Pyramides

Prom­e­nade domini­cale en com­pag­nie d’Evola et du Psy­chi­a­tre dans le labyrinthe orne­men­té de Vidy. Con­ver­sa­tions tech­niques sur le vélo, poli­tiques sur l’engeance immi­grée, émo­tion­nelle sur l’é­tat du pays. Revient la phrase : “ce pays, c’est sim­ple, je ne peux plus le voir!”. Où je n’ai pas à renchérir, ne le voy­ant depuis 2015, heureuse­ment, que très peu. 

Université

A me balad­er ain­si avec Luv dans Neuchâ­tel, je con­state que j’y suis venu ces vingt dernières années dans les mêmes con­di­tions tou­jours, muni d’af­fich­es à coller, couratant selon un cir­cuit rôdé, de la pati­noire à la Case-à-chocs et de la basse-ville à la gare, déroulant mon scotch “au car­ré” autour des A2 de nos clients, véri­fi­ant qu’au­cun flic ne me trousse, ne voy­ant que les murs déparés, les armoires élec­triques, les vit­rines vides. Ce matin, je devise en com­pag­nie de ma fille dans le quarti­er des Uni­ver­sités en atten­dant le ren­dez-vous de qua­torze heures avec le Con­seiller aux études. Menu — non “plat”, d’ailleurs minus­cule, qui donne faim plus qu’il ne ras­sas­ie — dans la belle salle aux faïences de la brasserie du Car­di­nal, puis vis­ite à la bou­tique de vinyles “Vinyl” dont je fran­chis la porte en obser­vant, là encore, que je recule depuis des années, pressé par mes tournées d’af­fichage (après Neuchâ­tel, il fal­lait encore “mas­sacr­er” avant la fin de la journée Bienne et La-Chaux), le moment de fouiller ses bacs. Au pro­prié­taire, je demande Youan­de­wan, Bios­phere, Altarage et Jr Rodriguez. Il n’a pas. Je le félicite pour sa bou­tique, promets de revenir. Un moment à regarder les cygnes, les cols-verts, les groupes d’é­tu­di­ants et un homme dans la force de l’âge qui allongé sur une chaise-longue devant l’aula de la Fac­ultés des Let­tres bronze a demi-nu sous un soleil mod­este, puis nous écou­tons l’ex­posé du Con­seiller sur le cur­sus en Sci­ences de l’in­for­ma­tion que pro­jette de suiv­re Luv, entre­tien dont je ressors con­va­in­cu (tout comme elle), presque envieux des études qu’elle va com­mencer, cer­tain comme déjà je l’é­tais à son âge, vingt-et-un ans, que le tra­vail est la pire des malédictions.

Cycles

Le cap­i­tal­isme survit par la supercherie comme son prédécesseur et son suc­cesseur le communisme. 

Nuit dehors

Bivouac avec Aplo sur les grèves de la Sarine près de l’Ab­baye de Hau­terives. Sec­tion­nés par les bûcherons, des troncs prêts à être brûlés. Notre brasi­er éclaire les falais­es de mol­lasse, nous gril­lons du cheval. A la fin de la con­ver­sa­tion et des rires, ques­tion sim­ple: “quelle heure peut-il être?”. Qua­tre heures trente, les sacs de couchage sont blancs de givre, les tentes sont rêch­es, la tem­péra­ture est tombée au-dessous de zéro. Le matin, baig­nade — non, c’est trop dire: je me trempe, cela suf­fit. Mais aus­si j’ad­mire: une vieille dame coif­fée d’un bon­net orné de pétu­nias nage dix bonnes min­utes dans l’eau gelée. Ensuite, Gruyères. Soleil radieux. Au fond de la val­lée le Vanil Noir, dans notre dos le Molé­son. Sur la place forte du vil­lage, quelques badauds. Moment de vis­ite priv­ilégié, juste après la lev­ée des mesures san­i­taires qui depuis deux ans dis­suadent d’en­tre­pren­dre un voy­age. Autour, annon­ci­a­teur des vagues de touristes qui bien­tôt défer­leront, la mal­adie nationale, la destruc­tion habituelle, l’ar­gent fou, des cen­taines, des mil­liers de place de park­ing en chantier. Le soir, à Lau­sanne, sous-Gare, nous voyons Mon­père qui arrive de Budapest. Par­lant de l’Ukraine il dit: “Il faudrait ras­er l’U­nion sovié­tique. Et pré­cise pour mon fils et moi-même : “je suis un homme de la guerre froide”.

Eaux

Course à pied sur les berges du Léman en direc­tion de Saint-Sulpice, à quelques mètres près un semi-marathon, mais j’ai le souf­fle qui tape en par­tie basse comme dans un bocal ayant nagé dimanche matin dans la Sarine du côté de la Maigrauge, l’eau à 5 degrés, après avoir bu au soleil — j’ar­rivais d’une tournée d’af­fichage à vélo pour la for­ma­tion du nou­v­el employé, un Chi­nois (bridé), blanc (la peau), né en Aus­tralie, éduqué en Alle­magne et qui s’ex­prime en français avec l’ac­cent de Hambourg.

Endurance

Vil­leneuve-Loèche-Vil­leneuve, soit 207 kilo­mètres par les sen­tiers du Rhône valaisan. Petit rythme, grav­il­lon, lacs de loisirs, camp­ings de tra­vailleurs, vig­no­bles vers Ardon, Leytron et Sax­on, puis la forêt de Fin­ges, notre désert nation­al où j’ai situé plusieurs scènes de ma pièce jouée à Paris en 2008, “La Suisse est un petit pays situé entre l’Autriche, l’Alle­magne, l’I­tal­ie et un qua­trième pays dont j’ou­blie le nom”. Chemin du retour, un vent de plomb entre Rid­des et Mar­tigny, j’a­vance moins que je ne pédale. A par­tir du musée mil­i­taire de Saint-Mau­rice, je relance. Là, je dépasse une com­pag­nie de recrues. Elle marche. Mon éton­nement comme j’ap­proche: pas un trouf­fion pour se retourn­er tout aver­tis qu’ils soient par le chuin­te­ment des pneus; il faut l’or­dre du capo­ral pour resser­rer le rang. “Mer­ci!”, je passe. A la nuit, je me perds un peu dans le port du Bour­get puis des­selle dans la zone com­mer­ciale d’Aigle où j’ai garé, con­tent et même plus que con­tent, réjoui.

Sanatorium

Quarti­er sous-gare de Lau­sanne, au milieu des malades. Assis à vingt mètres de la porte vit­rée de la bou­tique selon un angle cal­culé, j’évite autant que faire se peut de regarder dans la rue les pas­sants lents, jeunes, hon­teux, cacochymes. A portée de main le frig­ori­fique que j’ai aus­sitôt la Dodge garée, la valise ouverte, le vélo sur béquille, gar­ni des bières pris­es au super­marché de la mosquée où un Arabe fait de mau­vais sable muni d’un bras­sard Sécu­rité (un lieu de culte qu’il faut pro­téger?) sourit à la cais­sière Sud-améri­caine, joue les nou­veaux Suiss­es, a rai­son de jouer les nou­veaux Suiss­es par­mi les défail­lants, les faiblards, les impor­ta­teurs, les inhibés et les malades qui hantent les derniers jours du grand partage apoc­a­lyp­tique. Quand quelqu’un s’ar­rête devant la vit­rine de la bou­tique, veut ouvrir, frappe, s’ap­puie, regarde à l’in­térieur. Une cliente pour une peluche, un cadre ou une tasse, cinquante cen­times, dix francs, deux francs. Nous ne ven­dons pas, nous ne ven­dons rien. Les bibelots en vit­rine? Déco­ra­tion. Les meubles? Occu­pa­tion des sols. L’homme assis sur la chaise, à vingt mètres de la porte, une bière dans la main? Il arrive du Lubéron, c’est moi. Du Lubéron où j’é­tais à l’abri des humains, par la grâce de la nature, loin du lab­o­ra­toire, par la grâce de la nature, à bord d’une splen­dide mai­son de pierre ocre ser­tie dans les vig­no­bles, encore la nature, où j’é­tais avec Gala et je viens de con­duire et je suis fatigué, et si je suis assis dans l’an­gle c’est que je n’ai pas besoin de voir ce qu’est devenu le quarti­er sous-gare de l’épou­vantable Lau­sanne et de tout notre pays épou­vantable, un sana­to­ri­um de rési­dents du ter­roir et d’én­er­gumènes catapultés. 

London

Dans un petite armoire à croisil­lons, la pro­prié­taire de la Motte-d’Aigues gar­dait la col­lec­tion com­plète des œuvres de Jack Lon­don en 10/18, édi­tion qui a pour moi une valeur affec­tive, c’est à tra­vers elle que j’ai décou­vert Brauti­gan, Gins­berg, Julian Beck, John Fante. Sauf que je ne sais plus ce que j’ai lu ; je choi­sis les Vagabonds du rail. For­mi­da­ble! Pour­tant, je m’en­nuie. Au fil des pages, je vois que j’ai déjà lu ce titre, mais là n’est pas le prob­lème; c’est l’âge, mon âge. Un Européen ne se con­tente pas du réel, il y ajoute. Plus que cela: il ne conçoit pas de lit­téra­ture sans ajout, sans spécu­la­tion, sans poésie ni intro­spec­tion. Autant me fasci­nait ce rap­port au sim­ple au réel lorsque j’é­tais jeune autant aujour­d’hui il m’en­nuie, féru que je suis de ces ajouts qui font la vie de l’esprit.

Fallacia

Con­science arti­fi­cielle, imputée aux peu­ples d’Oc­ci­dent, que leur monde est ordon­né aux désirs quand le reste des humains est soumis à la loi du besoin.