Progrès du totalitarisme européen: les robots contre la langue. Programmés pour lire et relire les déclarations des humains postées sur l’internet, les robots les expurge de tout vocabulaire critique. Parade spontanée des victimes de ce déni d’expression, parler par antiphrase, dire: “l’Union Européenne est le paradis des libertés”, un truc qui a le mérite de dénoncer la monstruosité que devient la langue quand elle est attaquée par une idéologie.
60 kilomètres
Première sortie à vélo depuis l’infarctus de novembre dernier. Ces derniers mois, je roule trente à quarante kilomètres par jour, mais en chambre, les yeux rivés sur les indicateurs. Cet après-midi, je déposais le van pour le grand service. Je profite des trois heures que dure l’intervention. Montée jusqu’au monastère. Il fait 34 degrés. Pas une tache d’ombre sur la route. Petite cadence, deux arrêts à des sources. Comme d’habitude, seul sur le mont. Au passage de la Peña, je jette un coup d’oeil derrière le panneau Urel, 1080m; c’est là qu’en juin un fuyard français qui avait abattu sa famille de l’autre côté de Pyrénées s’est tiré une balle dans la tête. De retour dans la Plaine de la victoire (en réalité une zone commerciale), le chef de l’atelier mécanique me dit: “j’ai étudié la question, à mon avis la garde civile ne dit pas tout. Il avait le pistolet contre lui. Tu imagines ça? Le type se suicide, il part à la renverse et le flingue reste là, bien au chaud dans sa main? Enfin bon, j’ai changé l’huile et les filtres, tu peux rouler un bon bout de temps.”.
Etchémaïté
Anniversaire de Gala. Nous passons le col de la Pierre-Saint-Martin sous une pluie fine, dans le brouillard, au milieu des chevaux. Près de Saint-Engrâce, des trombes d’eau dévalent de la forêt. Nous atteignons Larrau, prenons une chambre au-dessus du restaurant gastronomique, mangeons douze plats arrosé d’un Madiran qu’une gamine débarquée de la banlieue sert glacé.
Rendez-vous
A l’occasion des fêtes du village, une messe est célébrée le dimanche dans la chapelle du Saint-Graal. Des voisins montent à cheval, d’autres y vont à pied, tous longent la rivière, passent la pont de bois, se retrouvent dans le petit édifice roman. La troupe partie, un message tombe sur le réseau téléphonique. La maire écrit: “la messe commencera 11 heures, Jésus ne peut pas être là plus tôt” — elle parle du curé.
Vacation
Laissé là mes lectures. C’est l’été. Les citadins affluent, la place est transformée en parking, les gîtes ont leurs locataires. Durant le mois d’août, le rite des initiés est constant : en matinée courses de vélo pour les hommes, marches en montagne pour les femmes puis apéritif au bar et sieste. En début de soirée, jeux de fronton et baignade dans les trous d’eau rivières (celles qui ne sont pas à sec) et à nouveau apéritif. A partir de onze heures, quand la température baisse, les voisins s’invitent les uns les autres, ils allument des feux, ils font griller de la viande (l’interdiction des feux intervient d’habitude fin août). Lorsque je me couche, les enfants sont dans la rue, ils ont la permission de 1h30.
Don
Un paysan n’est pas bête. Il est bon ou mauvais paysan. Ainsi de l’artisan et de tout individu qui pourvoit au maintien de la vie. Alors qu’un citadin — aujourd’hui — avant d’être citadin (plus grave: s’il veut le rester) est bête (doit l’être). C’est le sens du célèbre dialogue entre l’Ingénieur de la Compagnie pétrolière et Hacinto Yanyez dans le roman Rosa Blanca de Bernard Traven. L’ingénieur veut acheter, investir, pourrir la terre; le paysan ne comprend pas que l’on puisse faire autre chose qu’en tirer du maïs. Dialogue qui est l’opposé des élucubrations pour citadin du Don Juan de Castaneda, ce charlatan. Bref, le sens de la vie ne fait pas débat chez l’homme qui a l’intelligence terrienne. Aujourd’hui nous sommes aux prises, entre fabrique du désordre et désordre des convictions avec la pire des confusions, celle qui s’ignore.