Génies mineurs

Peut-on être génial en art? A l’év­i­dence, oui. L’his­toire des génies est vraie de toutes les civil­i­sa­tions et si elle est dis­putée selon les critères de recon­nais­sance d’une époque, elle exhibe à terme une chronolo­gie, des dates, des hommes en vue d’un pacte uni­versel. Savoir si le génie est affaire de volon­té, d’in­spi­ra­tion ou de don pose ques­tion mais il est une autre ques­tion, plus immé­di­ate : peut-on être génial lorsque le régime du banal domine? Exprimé ain­si, le prob­lème relèverait de l’argutie. Si l’on con­sid­ère la banal­ité comme la pénible impo­si­tion à l’être d’ex­cep­tion des devoirs rou­tiniers l’on aura pour soi les exem­ples con­traires des grands créa­teurs qui sac­ri­fient leur exis­tence à la créa­tion. Mais ce n’est plus de la banal­ité, c’est de la lutte. C’est le refus mag­nifique du réel. Or, ce réel si mal nom­mé, dont il con­vient ici de dire qu’il est tou­jours “social”, et aujour­d’hui plus que jamais, com­ment le génie con­tem­po­rain, étant recon­nue la puis­sance d’emprise rénovée du réel, s’y opposerait-t-il ? Car le banal est désor­mais un banal exten­sif. Sans marges. Tout puis­sant. Si puis­sant qu’il arase les pos­si­bles avant même que les esprits géni­aux s’oc­cu­pent de leurs jeter un sort pour les forcer au réel. Dans ces con­di­tions, l’ex­cep­tion native qui mar­que au sceau du génie un créa­teur a beau l’amen­er à bataille, il ne fera en fin de compte excep­tion que devant le banal. Ce génie mon­tr­era, au mieux, une orig­i­nal­ité de car­ac­tère, au pire une orig­i­nal­ité cri­tique. Ain­si peut-on dire que le trem­plin qu’of­frait le monde d’autre­fois, inabouti, bru­tal, chao­tique, dès lors qu’il est main­tenant trans­for­mé en société du banal, ne per­met plus d’at­tein­dre au génie, lequel était et doit être un sai­sisse­ment, en vue du lâchage, de ce que l’on avait cru, com­pris, admis, cela pré­cisé­ment qui, après la vis­i­ta­tion du génie, ne suf­fit plus.