Aux yeux de LM, tout est conspiration. D’accord, mais comment le sait-il? Conspiration l’histoire coloniale de la Colombie, conspiration le mise en coupe du pays par les narcotrafiquants, conspiration le spéculation sur les forêts, le pétrole, l’herbe. Les livres sont là, remplis de preuves. Il me les tend. Je les place sur la table de nuit, à côté de la bouteille d’eau et des tampons de cire, sur le Bartleby de Melville, que je n’ai jamais lu, qu’il faut lire (dit LM), que j’essaie de lire, qui me tombe des mains. Conspiration encore la “gentrification” du “western”, le quartier infrahumain où survivent les échoués. Celle-là commandée depuis une propriété israélienne qu’il me désigne à travers la fenêtre rafistolée de la chambre. “Tu vois ce gratte-ciel? Eh bien les huit lettres que tu lis sur sa façade, c’est le nom de la compagnie qui contrôle tout dans cette ville.” Il y revient sans cesse. Où que démarre la conversation, il boucle le cercle: conspiration. J’avoue: les arguments sont persuasifs. Ajoutons: je n’en sais rien. Il faudrait lire, et pas seulement ce qui est empilé sur la table de nuit. Ce n’est pas tout. LM possède un terrain dans les Caraïbes. La semaine prochaine nous irons le voir. Il se trouve dans un faubourg de Santa-Marta et il est en danger? Le terrain? Pas seulement. Lui aussi, LM. Menaces qu’il m’expose plusieurs fois, dans un ordre et un autre ordre, en sucrant les mots-clefs de sorte qu’à la fin je n’y comprend rien, mais figurent parmi les grimaçants de la sarabande des paramilitaires, des caïds locaux, des Juifs et des indigènes. LM transpire. A moins qu’il ne se fasse transpirer. Là, il va fumer un joint, parce qu’il faut se calmer, procéder par étapes, résoudre le problème avec les avocats. Le lendemain, nouvel exposé, pas le même, un autre, dans un autre ordre, sur le même sujet.