LM veut que je change d’hôtel. Le meilleur établissement de la ville est le Bellavista. Un lieu de jardins, de fraîcheur, une ancienne bâtisse coloniale, les artistes descendent là, et puis dit LM, “je connais le propriétaire, il te fera une prix”. D’ailleurs, il me l’a montré hier comme nous venions de l’aéroport en bus ce Bellavista. Séparé de la plage par une route quatre pistes, plat comme un galette, l’air vétuste. Mais surtout, il y a vingt jours que je fais et défais mon sac, la perspective de garder une chambre quarante-huit heures de suite me réjouit. Alors je dis “peut-être, “je vais réfléchir” et finalement: “non”. LM est déçu. Il m’accuse de n’en faire qu’à ma tête. Il a raison. Ainsi je me promène dans le quartier de Puerto Norte. Marché d’objets de récupération, clochards étendus dans les parcs, ateliers de téléphonie, peuple alenti de Cartagena à côté de la vieille-ville vibrante de touristes, un endroit sans intérêt tel que je les aime (LM me dit : “je ne connais pas”). Puis je fais la sieste. En fin de journée, je rejoins LM. Avec Olga et un vieux-jeune dithyrambique qui parle plus vite que vite (c’est son avocat), il m’attend sur la plage. Ils ont loué une table avec parasol et des transats, ils rechargent les bière de l’autre côté de la quatre pistes, là où se trouve le Bellavista. A 17h30 quand la police ferme la plage et fait refluer les baigneurs, LM nous emmène à l’hôtel, il va saluer son ami le directeur. A l’extérieur, deux adolescents en guenilles les pieds nus repeignent avec des pinceaux-brosses le gris anti-urine du mur d’enceinte. A l’intérieur le décor tient de l’asile psychiatrique et du film d’horreur. Armoires défoncées, trous dans le carrelage, WC condamnés, portes jetées au sol. Un misérable aux dents cassées qui boit une soupe flaire une présence étrangère. Il toise l’avocat: “t’es qui toi?”. Cependant LM a disparu. Dix minutes plus tard il revient avec un homme ventru et sale, en pyjama, qui se demande ce qu’on lui veut, le directeur, son ami. LM explique: “j’ai vécu là pendant une année. Auparavant j’étais dans la tour, celle-là, à gauche, un appartement au dernier étage, je couchais avec la voisine du huitième, la femme d’un boxeur fou”. Après quoi nous marchons lentement, lentement en direction du centre, mais d’abord LM cherche son herbe, qu’il vient d’acheter, qu’il a perdue, qu’il veut racheter (“est-ce que ne sera pas trop tard Olga?”) et nous range dans une ruelle obscure où il allume une pipe qu’il fait passer (comme je fais remarquer qu’ils sont juste en face d’un dispositif de vidéosurveillance, LM déplace les amis). Qu’il installe à l’aplomb du mât aux caméras avant que d’allumer une autre pipe. L’avocat rentre chez lui. Olga et LM rient et marchent (lentement), et rient. Olga désignant une jolie maison de bois blanc : “tu devrais rester un jour de plus, comme ça tu pourrais visiter, c’est la maison de l’ancien président”. LM approuve. Se demande comment je pourrais aménager le temps pour réussir cette visite. Lui qui a la hantise du politique. Même chose pour la religion. Hantise qu’il ne cesse d’exprimer, d’expliquer, de justifier — il y a deux jours à Chochil, comme nous franchissons la porte de l’église, il se décoiffe et ferme brièvement les yeux.