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L’ingénieur du FabLab qui m’a aidé à imprimer le cube en 3D vient manger la fon­due. Il est accom­pa­g­né d’une femme ravis­sante aux yeux russ­es. Peu avant l’in­vi­ta­tion, je vois que je n’ai pas de brûleur à plac­er sous le caque­lon. Antan on ver­sait de l’al­cool sur un tis­su-éponge, à l’oc­ca­sion la table pre­nait feu, en général on dînait. Depuis le client est cap­tif des assur­ances et du com­merce, il faut acheter des cap­sules. Or, dans les mon­tagnes, en demi-brousse, au pays du cochon et de la pael­la, c’est une gageure. Déjà l’an dernier Gala et moi avons tout essayé: coton imbibé, bougie basse, cube pétrolé — ça fume et ça tangue, le fro­mage se fige. Donc je viens d’aller à Puente (18 kilo­mètres), et j’y retourne. Aupar­a­vant j’ai appelé le plom­bier. Je me sou­viens avoir vu au fond de son échoppe de la rue Hidal­go un paquet de trois cap­sules. Sa femme con­firme par télé­phone qu’elles y sont tou­jours. Lorsque je reviens à Agrabuey, les invités atten­dent près de la fontaine munic­i­pale. Je les con­duis par la place du vil­lage et le rue côtière. Soudain l’ingénieur se fige: “il faut que je te dise Alexan­dre, le FabLab n’ex­iste plus. J’ai été licen­cié”. Je fais remar­qué qu’il s’ag­it tout de même de l’u­ni­ver­sité d’une des cap­i­tales espag­noles! Le par­ti au pou­voir a changé, dit Diego. “Et que comptes-tu faire?”. Oh, c’est sim­ple, je retourne dans les Forces armées. Une plaisan­terie me dis-je, car Diego est chétif, doux, habil­lé de bleu et de rose, mais non, il est bien sol­dat de l’ar­mée de l’air (dans le guidage plutôt que dans le para­chutisme j’imag­ine). Et nous voici attablés pour quelques heures, d’abord affa­bles, puis cau­sant. Après tout je n’ai fait que tra­vailler devant des découpeuses laser avec ce tech­ni­cien et ne le con­nais pas. Seule­ment, vu son aide, sa sol­lic­i­tude, et la gra­tu­ité de son ser­vice, il fal­lait remerci­er (je lui ai aus­si envoyé une mon­tre). En octo­bre dernier, à la pre­mière minute de notre ren­con­tre, comme s’ou­vrait mon télé­phone sur le logo qui cou­vre l’écran d’ac­cueil, Diego avait fait remar­qué: “je préfère ne pas par­ler poli­tique”. Aujour­d’hui, à la fin de la soirée, approu­vé par son amie aux yeux russe, il s’en­t­hou­si­asme: “il y a des années que je n’ai pas brassé tant d’idées!”.