Mois : mars 2023

Eté avancé

Des oiseaux dans les euca­lyp­tus, une terre jaune dressée au-dessus des cac­tus et la chaleur qui fige les palmiers. Au bout de l’al­lée la piscine a la forme d’une soucoupe. L’eau est claire, le silence com­plet. Je m’en­traîne, puis sors la bière et prof­ite d’en­ten­dre les chants. Un cou­ple hol­landais par­le en coulisse, comme sur la scène d’un théâtre. Par­fois un voiture démarre. 

Eden

Les Espag­nols appel­lent “urban­ización” ces quartiers rési­den­tiels conçus par les archi­tectes pour êtres déposés sur un ter­rain vague à la périphérie des villes. Depuis que je suis enfant, je con­nais ceux qui ser­vent de cités-repos aux tra­vailleurs des cap­i­tales avec leurs vastes park­ings à l’air libre, leurs bars de voisi­nage, leurs piscines com­mu­nau­taires et leurs ter­rains de sport, mais je n’avais jamais fréquen­té leur équiv­a­lent touris­tique en bord de mer. L’ ”urban­ización” Eden est bâtie sur les hau­teurs de Guardamar del Segu­ra, une sta­tion bal­néaire de la Cos­ta del Sol située entre Ali­cante et Carthagène. Com­posée d’un mil­li­er de vil­las con­tiguës blanchies à la chaux, elle est séparée de la mer par une semi-autoroute. Chaque maison­nette a deux étages. Le pro­prié­taire qui vit dans l’ap­parte­ment du pre­mier accède à son loge­ment par un escalier intérieur. C’est notre cas. L’ap­parte­ment fait soix­ante mètres au sol, les meubles sont en aggloméré, les ter­rass­es vit­rées et chaudes, la cui­sine bas de gamme mais pra­tique. La cham­bre à couch­er donne sur la buan­derie laque­lle donne chez le voisin. A la sig­na­ture du con­trat, le futur pro­prié­taire peut faire appos­er sans sup­plé­ment la faïence de son choix. L’on voit en façade des “José y María”, “Kep­pler haus”, Peer Gynt” ou encore “Sweet love”. D’après mes cal­culs que con­fir­ment les annonces des agences qui vendent le pro­duit à Guardamar, un apparte­ment de ce type coûte soix­ante mille francs. Un luxe acces­si­ble. L’ ”urban­ización” se vide et se rem­plit selon les péri­odes de vacances des dif­férents cal­en­dri­ers européens. L’aéro­port d’Al­i­cante débar­que les habi­tants par vagues. En ce mois de mars, seuls vivent dans les maison­nettes des cou­ples de retraités. Le soleil brille sur les toits. Les voitures sont alignées sous les palmiers. Au bout de la rue pri­v­a­tive, acces­si­ble au moyen d’une clef, la piscine. Autour de cette cité qui doit ressem­bler du ciel à une navette spa­tiale garée dans le désert, des parcs de jeux pour enfants et des parcs de jeux pour les chiens. Nos voisins sont litu­aniens, français, polon­ais, alle­mands, écossais. 

Quatre étoiles

Ban­lieue de Viñaros onze heures le soir. Devan­tures clos­es, promeneurs de chiens, réver­bères jaunes. Gala a faim. Trois heures que nous roulons dans la nuit. Après avoir abat­tu 220 kilo­mètres, l’or­di­na­teur de bord nous perd. Une chance puisqu’il y a près d’une phar­ma­cie de garde un restau­rant tenu par des Colom­bi­ens. Ils fer­maient, il rou­vrent. Nous man­geons de la viande et des tomates. J’en prof­ite pour deman­der la direc­tion de l’hô­tel. Je pari­ais sur l’est, le patron indique l’Ouest et affiche un plan sur son télé­phone: à l’év­i­dence l’adresse com­mu­niquée par le site de réser­va­tion est fausse. Lorsque nous aboutis­sons à la récep­tion, un ado­les­cent en cos­tume nous dit: “vous êtes bien à l’hô­tel Aura, mais il y en a deux, votre cham­bre est dans l’autre hôtel”. Je fais remar­quer que l’adresse était fausse. Dés­in­volte il répond : “oui, il fau­dra chang­er ça”. L’autre hôtel Aura, ou plutôt le sec­ond bâti­ment du même hôtel, est “à côté”. L’ado­les­cent fait un geste par dessus l’é­paule: “juste là!”. Je redé­marre la camion­nette, fais le tour du quarti­er, m’éloigne. Un promeneur de chien nous ren­seigne: il mon­tre l’en­seigne de l’hô­tel Aura éclairée dans la nuit. Nous voici de retour devant le même bâti­ment. J’at­trape l’ado­les­cent, l’amène dans la rue, exige qu’il mon­tre le bâti­ment. En effet, l’hô­tel est “juste là”. Mais il est dans une impasse, inac­ces­si­ble en voiture, invis­i­ble au regard; après véri­fi­ca­tion l’im­passe n’a pas de nom. 

El Prat

Aéro­port de Barcelone. Le vol de Genève est annon­cé au ter­mi­nal B. En dernière minute, les moni­teurs aver­tis­sent d’un change­ment de porte. Au lieu de déplac­er la camion­nette, je vais à pied. Mal­gré le retard à l’at­ter­ris­sage, la salle d’ac­cueil est à moitié vide. Je dis­cute avec un père et son fils qui tien­nent une agence de snow­board dans les Pyrénées. Ils atten­dent un client. Devant la porte coulis­sante des “arrib­ades”, une Andine; au seul guichet ouvert une autre Andine. Quand un homme à la mine pat­i­bu­laire jette son sac à la volée et s’al­longe sur le sol. Cha­cun à vu. Per­son­ne ne veut voir. L’homme gît sur le dos. Le T‑shirt remon­té sur le ven­tre, le pan­talon tombé, il est à demi-nu. Peut-être est-il mort? Une troisième Andine, haute comme trois pommes, se place à son côté l’air dému­ni. Je m’ap­proche du géant étalé au sol : “you are drunk or you are about to die?”. Des bor­bo­rygmes, des signes de déné­ga­tion — il ne meurt pas. Mais rien n’y fait, l’An­dine n’ar­rive pas à le faire par­tir. Elle est effrayée. Elle ne peut aban­don­ner la par­tie, elle n’ose pas inter­venir, il n’y a ni polici­er ni garde. L’homme gît au milieu du ter­mi­nal. Les moni­teurs affichent de nou­velles infor­ma­tions. Un retard sup­plé­men­taire est annon­cé pour l’avion de Genève. Au bout d’une demi-heure, je con­state que des pas­sagers venus de l’e­s­planade extérieure deman­dent à l’An­dine respon­s­able des “arrib­ades” à récupér­er leurs valis­es. J’en fais la remar­que au père et à son fils qui répon­dent “c’est impos­si­ble”. Ils n’ont pas tort, car on a jamais vu des pas­sagers sans bil­lets entr­er dans la par­tie sécurisée d’un aéro­port. Pour­tant l’An­dine se laisse per­suad­er. Elle fait pass­er. Arrivent d’autres pas­sagers. Eux aus­si récla­ment leur bagage. L’An­dine ne sait plus où don­ner de la tête. Elle regarde l’homme qui gît sur le dos, elle est assail­lie par des pas­sagers furieux. Survient Gala au bras d’un jeune Améri­cain qui explique que les Genevois ont été poussés vers le ter­mi­nal B alors que les valis­es étaient débar­quées au ter­mi­nal A. Dis­tance entre les ter­minaux, un kilo­mètre. Sa valise récupérée, je pars chercher la camion­nette. Aux caiss­es automa­tiques du park­ing, une hôtesse de l’air se pré­cip­ite sur moi: “vous avez réus­si à pay­er, vous?”. Je n’ai pas encore essayé. J’es­saie. Refus de la machine. Qui s’éteint. Devant la bar­rière de sor­tie, je négo­cie. Un employé arrange l’af­faire. Je cherche le ter­mi­nal A. Le géant est couché en tra­vers du quai de charge­ment des taxis. Le trot­toir où m’at­tend Gala est en vue. La piste de sor­tie du park­ing n’y con­duit pas. Elle me guide hors de la l’aéro­port, me met sur l’au­toroute de Valence.