De retour de Málaga, je me gare pour la nuit sur une piste de camions dans la Manche. Au loin, l’hôtel Castillo dont la façade rapportée imite une forteresse. La camionnette donne sur des aplats de culture et des cônes de sable. Le crépuscule brûle le paysage. J’ai de la bière en litres et un gadget hongrois qui donne la wi-fi à bord. La température chute. Le cerveau cherche un rêve: ce sera une équipée de sous-marins frayant leur passage dans un couloir d’eau. Tiré du sommeil par le froid, je lance le chauffage dans la partie camping et me rendors dans la fournaise. J’ai dîné d’ œufs de truite achetés près de Grenade dans cette ferme construite sur Riofrío. La vendeuse réunit la tranche de pain, les barquettes de beurre et le demi-citron dans une boîte de carton frappée d’une couronne. Tant de soins me réjouissent. C’est à l’annonce de la facture que je comprends : c’était bien quinze grammes de caviar, mais pas 15 Euros. Je renonce — d’où la marmelade de truite. Le matin, alors que je me brosse les dents sur le terrain vague (les camionneurs sont partis à l’aube), une patrouille de la garde civile vient s’assurer que la camionnette n’est pas volée. Il est huit heures au bar de l’hôtel, le patron grille sur un feu de bois les chorizos du petit-déjeuner. Si je me lève, c’est pour arriver avant le soir dans le Nord : il a neigé, il va neiger, j’ai le col de Monrepós à franchir et mes pneus patinent comme un savon mouillé. Sur la route en pente qui mène au village je roule au pas, fixe le ravin, me cramponne. Je laisse la camionnette entre l’abreuvoir et l’ancienne école. Impossible d’aller plus loin, les rues d’Agrabuey sont encroûtées de glace. Il fait zéro dans la maison.