Vers l’Espagne

Par­ti ce matin de la mari­na de Hyères en direc­tion de Lalonde-des-Mau­res. Pour cette pre­mière étape, j’ai comp­té 189 kilo­mètres. Le vélo est chargé. Je ne le pèse pas. Quand je le pousse hors de l’ap­parte­ment, il résiste. Le redress­er pour le coin­cer dans la cage d’as­censeur exige de la force. Sur le quai, j’embrasse Gala, je m’élance. Qu’ai-je bien pu embar­quer qui me vaille un tel poids. L’or­di­na­teur? Néces­saire, il y avait l’au­di­ence au Tri­bunal; le matériel pour le café? Ce n’est pas lui, il était déjà à bord lors de du voy­age aller. Les câbles, le paquet de câbles, sept, huit, dix câbles. Quoi de plus? Juste l’ad­di­tion de ces choses, répar­ties entre les deux sacoches instal­lées sur la roue avant et les sacs de selle et de cadre. Autour de Pier­rfeu-du-Var, les mol­lets sont chauds, le souf­fle se sta­bilise, je n’y pense plus, je pédale sans effort sur le pignon moyen (le vélo est un mono­plateau). J’ai soif. Les fontaines sont rares. Ou alors elles indiquent “eau non-potable”. Par la ver­tu des poli­tiques, l’eau qui coulait à tra­vers les vil­lages est dev­enue imbuvable. Suf­fit de lever la tête pour en con­naître la rai­son: un super­marché blanc et pro­pre et frais se dresse sur le bord de route. Eau réfrigérée et payante. J’avale un litre sur l’aire de park­ing de Pour­rières, un vil­lage au milieu des champs; der­rière la vit­re du super­marché, un bac et cet avis: “col­lecte de nour­ri­t­ure pour les chats errants de Pour­rières”. Je repars. Au pied du mont Saint-Vic­toire, je mesure 38 degrés. Huit heures plus tard, sans descen­dre de selle, j’at­teins la périphérie de Lançon-de-Provence et me pré­pare à dress­er la tente, boire l’apéri­tif, dormir, mais le site de tourisme con­sulté avant le départ est obsolète, les deux camp­ings dont j’ai retenu les adress­es (le troisième est réservé aux nud­istes) sont à l’a­ban­don. S’y gliss­er? Ils sont clô­turés et ver­rouil­lés et la France est une “démoc­ra­tie défail­lante”. Puis j’ai besoin de me laver et de recharg­er mon nav­i­ga­teur. Un marc­hand de glaces me con­seille le camp­ing Nos­tradamus, celui-là même que j’ai renon­cé à trou­ver lors du voy­age aller. Sou­venir frus­trant. Je n’en veux pas de ce camp­ing. D’ailleurs, il faudrait revenir en arrière. J’aime pas. Il faut rouler. Une heure plus tard, je décou­vre un camp­ing dans un bois. Je pique la tente entre un groupe de motards qui se plaint que les douch­es sont brûlantes et un incon­nu qui sous une bâche mil­i­taire joue à un jeu sur écran géant (je ne ver­rai que son dos). Mais il y a un snack, de la bière alsa­ci­enne, du riz aux champignons et Frank, l’aimable Frank qui me dit: “Alexan­dre, je m’ap­pelle Frank, tout ce dont tu peux avoir besoin…”. Avant la tombée de la nuit, je suis rangé dans mon sac, j’é­coute les oiseaux. Ils s’ époumo­nent. Pour cause: l’au­toroute six pistes passe à cinquante mètres, juste der­rière les pins maritimes.