Ce matin — ce qui veut dire midi — je descends de la montagne sous une pluie battante et me mets à compter les voitures sur la nationale. A la troisième, je cesse. L’affaire est entendue. Nous naviguons en plein désert. Pour les amateurs de chiffres, 7 véhicules sur les dix-huit kilomètres qui me séparent de la centrale de nourriture. Que je contourne pour me rendre chez le quincailler. Il tient avec ses employés un hangar sur l’ancienne route. Pour moi, il a passé commande d’un second poêle que je pense installer à l’étage inférieur, celui qu’occupait autrefois les bêtes, afin de combattre l’humidité et cette foutue remontée phréatique, un classique des villages anciens si j’en crois mon expérience (j’avais déjà ce problème à Gimbrède). Mais d’abord, je m’excuse: le quincailler n’a pu me joindre, j’ai cru que c’était en raison du numéro étranger enclin que je suis à croire qu’un Espagnol ne peut sortir d’Espagne, alors que c’était de ma faute, j’ai en ce moment cinq numéros, ne les connais par de mémoire, les confonds. Dans cet échange, nous sommes masqués. Je le précise, car malgré une moitié de visage à l’occulte, j’avais jugé lors du premier rapport cet homme racé, parfaitement ibère et macho à souhait, ce qui dans ma bouche, eu égard à l’histoire des mœurs locale, vaut compliment. Mais aussi orgueilleux et arrogant, ce qui m’avais déplu. Comme il m’entraîne dans la “nave”, c’est à dire “en coulisses”, c’est à dire dans l’entrepôt, afin de présenter ce que j’ai acheté, je constate que j’ai tout faux: l’homme est affable et dans son travail rigoureux. Tout content d’ajouter ses nouvelles qualités au portrait spontané que je me faisais de sa virilité, de sa prestance, de son port, j’attends qu’il vise ma facture ce qu’il fait avec soin, penché au-dessus de la caissière. Puis remercie, retire son masque. Apparaissent alors une moustache minuscule, à l’anglaise et un menton rentré qui démentent tout ce que j’ai vu ou cru voir.