Une femme que vous connaissez, que vous aimez depuis des années: elle rencontre un inconnu, devient soudain pour vous une inconnue.
Mois : février 2020
Epoque
Le café de la gare María Zambrano, au centre de Malaga, où j’ai déjeuné depuis toujours, c’est à dire onze ans, a disparu. Sac au dos, double valise à la main, Gala à mon côté, que je guide, je mets la main en visière.
-Il était là…
Plus dépité que je ne veux bien le dire. Nous avançons. Nous prenons place à une autre terrasse. Même œufs frits, même café, pain, olives, même service, mais enfin, quelque chose a disparu, de mon présent, de mon passé.
Ecole
Atterri à Málaga ce matin. Voyageant avec nous, une classe d’école, des enfants de l’Ain. Leur professeur, Magrébin en pyjama:
-Moi, c’est 7 fois Barcelone, 3 fois Berlin, 2 fois Madrid. Je connais tout. Un de mes élèves est pilote chez EasyJet! Vous allez voir, c’est bien l’Espagne!
Sauf qu’au moment d’accéder à l’avion, les élèves ont surchargé leurs valises. Et chacun de déballer, de trier, de jeter. Baskets et culottes, polos et jeans passent à la poubelle.
Le professeur:
-Et encore, tu imagines (il parle aux autres passagers), si on avait pas préparé!
Âmes télépathiques
La nuit, comme je dors, je me gratte la tête ou je crois que je me gratte la tête et présente devant mes yeux endormis, serrés entre deux plaquettes de verre mou de la taille d’un doigt, cent parasites circulant à haute vitesse; je descelle les plaques et amusé, les regarde se répandre sur notre double lit et sur Gala avant de replonger dans le meilleur des sommeils. Le lendemain, je raconte ceci à Gala, qui me dit: “j’ai vu tomber cette plaquette, mais les petites bêtes qui s’échappaient n’avaient rien de rassurant, alors je les ai balayées. Elles venaient de toi? Elles émanaient donc de ton rêve…?”
- Oui, oui.
Redite
Ce que la bourgeoisie malfaisante, retranchée et très peu libéral a bien compris, c’est que les immigrés qu’elle importe, après incubation, souhaitent pour leur progéniture une complète réussite, c’est à dire la réalisation par le sacrifice de la force de ce rêve matériel et médiocre que l’on nous a vendu dans les années 1960 et qui a essoré l’esprit des meilleurs blancs, ceux qui portaient réellement le progrès et l’échappée, de sorte que nous allons tout droit vers la répétition du cycle, machinique et néfaste, mais pour la minorité enrichissant.
Liliput
Montre en main, je fais le tour Bulle-L’Etivaz-Les Mosses afin de savoir si je serai assez isolé là-bas, sur le haut. La route est serrée, bancale, les glissières sont proches. Rossinière est dans le trou, après quoi le paysage se dresse. A la sortie de la forêt, c’est le plateau de La Lécherette: j’aime — une endroit abstrait, non-situé. Sapins noirs, plaine claire. Des mamans poussent des traîneaux sur de la mauvaise neige, emmitouflés les gosses s’appliquent pour réussir leurs premières descentes. Avant Les Mosses, je met la Dacia dans le talus et tire de ma poche les annonces de maisons en vente. Comme il se doit, les renseignements sont imprécis. Sur la photo, une rivière, peut-être un ruisseau. Les colonies de vacances, les cars fumeurs et les randonneurs cachent l’accès, bref, je ne trouve pas, et me voici au Sépey, village que j’ai décrit en 1999 dans Trois divagations sur le Mont Arto. Je ne sais plus ce que j’en disais, qui devait être romantique, aidé que j’étais par l’effort de gravir la côte sur mon vélo à sacoches, mais je le trouve cet après-midi aussi vaudois que primitif, et Suisse, qu’on en juge: tandis que je cherche la “belle maison à façade bernoise de 1777 qui vous enchantera”, un policier bedonnant sort du poste de police central, amende deux voitures. Or, nous sommes dimanche. Plus tard, je suis chez Monfrère, à boire et écouter sur son tourne-disque fraîchement acquis, des 45t de Discharge, Crass, GBH… et Liliput, le groupe de bernoises, toujours aussi solide trente ans après publication.