Ce maudit tourisme! Eh, oui! Car les touristes, ce sont toujours les autres. Et quand on va à vélo, les autres, ce sont avant tout les automobilistes. Par exemple, j’atteins Almagro. Ce n’est ni New-York ni Lucerne, nous sommes d’accord. Mais pas non plus Ávila ou Antequera — on voit que je fais un effort pour trouver des lieux toujours moins connus. Almagro, ce n’est rien, c’est Almagro. J’y suis pour déjeuner et voilà que ça se complique. Hier, dans un village de dix habitants (je parle du ressenti, non de la statistique), une bonne femme installée depuis 77 ans dans son bar (compte tenu de la fondation par les parents, précisons), m’a servi un lièvre confit chassé par son homme avec des haricots du jardin, et aujourd’hui à Almagro, parce que la municipalité a décidé d’en faire une ville touristique, impossible de dénicher un restaurant! Pourquoi? Parce que les bars sont des “lounges”, des “snacks”, des “buffets” ou des restaurants “à la carte”! Il n’est que de voir ces affiches de Botero (le peintre le plus ridicule du siècle dernier) qui pavoisent les réverbères. Partout ce petit gros à moustaches à demi-indien affublé du melon colonial me dévisage tandis que je fais le tour d’Almagro pour trouver un menu. Pour finir, je dîne bien et cher, dans un restaurant joli et prétentieux, conçu pour faire de l’argent et repars aussitôt, de toutes mes forces, maudissant comme j’ai dit le “tourisme” (il faudrait revoir la définition) pour atteindre, dans un décor de western, soixante-trois kilomètres plus loin, une station-service où je sors un Coca-cola (toujours le même) de la glacière. Avisant le pompiste, je demande:
-Qu’y a‑t-il à Almagro?
-Almagro? Beuh… Ils ont ces façades blanches… Et un joli hôtel de ville… Bref, rien de spécial.
-C’est bien ce que je pensais! En tout cas, pour manger, c’est pas fameux! Dis-je encore énervé.
-Nous, nous avons le plus grand château d’Espagne, c’est juste là, à 16 kilomètres, le détour en vaut la peine.
Et le pompiste adolescent m’explique comment faire pour rejoindre ce château, puis dépité me voit partir dans la direction que je m’étais fixée, qui n’est pas celle du château.