Voyage 5

Cañav­eras, près de Cuen­ca, après 151 kilo­mètres. Ma pre­mière pen­sée, “il y aura une sta­tion-ser­vice”. C’est le cas. J’ou­vre le frig­ori­fique, en tire un Coca-cola, le boit sur le bord de la route. Il y a aus­si un bar, une ser­vice de pom­pes funèbres et un sec­ond bar, ce dernier très peu castil­lan, en retrait, jaune canari, précédé d’un mât sur lequel sont peints un couteau-fourchette et le “H” de Hôtel. La dame qui me reçoit, une Roumaine, décroche le télé­phone:
- Enrique va venir.
En effet, voici mon homme. Je demande une cham­bre. Moment cri­tique. S’il n’y en a pas, je suis bon pour rouler cinquante kilo­mètres de plus — le cal­vaire. Sa réponse est ambiguë:
-Je ne fais plus hôtel, mais j’ai une cham­bre.
Nous descen­dons d’un étage. Pour com­pren­dre, il faut que j’ex­plique que le bar donne sur la route, laque­lle passe sur une hau­teur de sorte que le reste du bâti­ment est en fon­da­tions et ouvre sur les champs.
Un couloir, dix cham­bres:
-Prenez celle que vous voudrez! En revanche, le temps que l’eau chauffe…
-Aucune impor­tance!
Je tends quinze euros à Enrique, lave mes habits, prends une douche froide, remonte au bar, boit des litres de bière, com­mande des pâtes aux Roumains. Au comp­toir, se tient la folle du vil­lage. Les yeux en boules, elles roule ses cheveux, émet des bruits d’an­i­maux. Quand je la regarde, elle se détourne. Elle entre et sort. Elle fume. Com­mande un verre d’eau.
-Qu’est-ce que c’est? Demande la Roumaine.
-Un verre d’eau s’il vous plaît!
-Un verre de quoi? Insiste la Roumaine pour mon­tr­er à la folle que rien n’est acquis. Puis elle lui apporte son verre d’eau.
A vingt-et-une heure — il fait grand jour — je descends, je me couche. Des meubles sont déplacés au-dessus de ma tête. Traînés au sol serait plus juste. Pre­mier réflexe: cela ne va pas dur­er. Je me trompe. Quart d’heure, demi-heure, et ça con­tin­ue. Je me suis déjà endor­mi et réveil­lé plusieurs fois. Main­tenant, il fait nuit. Je retire mes tam­pons auric­u­laires. Le calme est revenu. Je vais plonger dans le som­meil quand le bâti­ment trem­ble. Il est en béton, pas isolé et trente voitures déchar­gent leurs pas­sagers qui se hâtent vers le restau­rant, une fête com­mence. Je ramasse mes draps et cou­ver­tures, je longe le couloir. Pour les cham­bres, j’ai le choix. Je prends la plus reculée (toutes ne sont pas ouvertes). Les éclats de voix et les rires me parvi­en­nent tou­jours, mais assour­dis. Au milieu de la nuit, quelqu’un dans le couloir. Ce que je red­outais: les mangeurs vont descen­dre, tous ont réservés, tous vont dormir à l’hô­tel. Un bruit de ser­rure puis plus rien. Je m’en­dors. Le matin, je trou­ve la porte de la cham­bre fer­mée de l’ex­térieur. Pas grave, je vais sor­tir par la fenêtre. Elle a des bar­reaux. Je tape con­tre la porte. Encore. Je soulève une chaise, grimpe sur le lit, cogne le pla­fond. A la fin, je hurle. Com­ment est-ce pos­si­ble? Si j’ai enten­du la fête, les Roumains doivent m’en­ten­dre! Au bout de vingt min­utes l’homme passe la tête entre les bar­reaux:
-Com­ment enfer­mé?
-Je n’ai pas la clef.
-Pas la clef ?
-Clef, clef, pas.
Nous par­lons en Espag­nol, mais c’est du Roumain, bref, le type ne com­prend rien.
-Votre cham­bre?
-Non.
Com­ment lui expli­quer que je me suis déplacé.
Quand il me libère, il m’ex­plique:
-Enrique, lui fou, je croire ça lui. Alors moi pas ouvrir.