Cañaveras, près de Cuenca, après 151 kilomètres. Ma première pensée, “il y aura une station-service”. C’est le cas. J’ouvre le frigorifique, en tire un Coca-cola, le boit sur le bord de la route. Il y a aussi un bar, une service de pompes funèbres et un second bar, ce dernier très peu castillan, en retrait, jaune canari, précédé d’un mât sur lequel sont peints un couteau-fourchette et le “H” de Hôtel. La dame qui me reçoit, une Roumaine, décroche le téléphone:
- Enrique va venir.
En effet, voici mon homme. Je demande une chambre. Moment critique. S’il n’y en a pas, je suis bon pour rouler cinquante kilomètres de plus — le calvaire. Sa réponse est ambiguë:
-Je ne fais plus hôtel, mais j’ai une chambre.
Nous descendons d’un étage. Pour comprendre, il faut que j’explique que le bar donne sur la route, laquelle passe sur une hauteur de sorte que le reste du bâtiment est en fondations et ouvre sur les champs.
Un couloir, dix chambres:
-Prenez celle que vous voudrez! En revanche, le temps que l’eau chauffe…
-Aucune importance!
Je tends quinze euros à Enrique, lave mes habits, prends une douche froide, remonte au bar, boit des litres de bière, commande des pâtes aux Roumains. Au comptoir, se tient la folle du village. Les yeux en boules, elles roule ses cheveux, émet des bruits d’animaux. Quand je la regarde, elle se détourne. Elle entre et sort. Elle fume. Commande un verre d’eau.
-Qu’est-ce que c’est? Demande la Roumaine.
-Un verre d’eau s’il vous plaît!
-Un verre de quoi? Insiste la Roumaine pour montrer à la folle que rien n’est acquis. Puis elle lui apporte son verre d’eau.
A vingt-et-une heure — il fait grand jour — je descends, je me couche. Des meubles sont déplacés au-dessus de ma tête. Traînés au sol serait plus juste. Premier réflexe: cela ne va pas durer. Je me trompe. Quart d’heure, demi-heure, et ça continue. Je me suis déjà endormi et réveillé plusieurs fois. Maintenant, il fait nuit. Je retire mes tampons auriculaires. Le calme est revenu. Je vais plonger dans le sommeil quand le bâtiment tremble. Il est en béton, pas isolé et trente voitures déchargent leurs passagers qui se hâtent vers le restaurant, une fête commence. Je ramasse mes draps et couvertures, je longe le couloir. Pour les chambres, j’ai le choix. Je prends la plus reculée (toutes ne sont pas ouvertes). Les éclats de voix et les rires me parviennent toujours, mais assourdis. Au milieu de la nuit, quelqu’un dans le couloir. Ce que je redoutais: les mangeurs vont descendre, tous ont réservés, tous vont dormir à l’hôtel. Un bruit de serrure puis plus rien. Je m’endors. Le matin, je trouve la porte de la chambre fermée de l’extérieur. Pas grave, je vais sortir par la fenêtre. Elle a des barreaux. Je tape contre la porte. Encore. Je soulève une chaise, grimpe sur le lit, cogne le plafond. A la fin, je hurle. Comment est-ce possible? Si j’ai entendu la fête, les Roumains doivent m’entendre! Au bout de vingt minutes l’homme passe la tête entre les barreaux:
-Comment enfermé?
-Je n’ai pas la clef.
-Pas la clef ?
-Clef, clef, pas.
Nous parlons en Espagnol, mais c’est du Roumain, bref, le type ne comprend rien.
-Votre chambre?
-Non.
Comment lui expliquer que je me suis déplacé.
Quand il me libère, il m’explique:
-Enrique, lui fou, je croire ça lui. Alors moi pas ouvrir.