L’année de la naissance de mon fils Aplo, j’exerçais un métier formidable, je traduisais Pingu. Ce pingouin ne parle pas, il baragouine un jargon de pingouin. L’essentiel de ses journées se déroule sur la banquise en compagnie d’autres pingouins et chaque épisode de la série a son thème, la cuisine, l’automobile, le saumon. La multinationale envoyait par courrier secret un disque que mon patron décachetait puis nous prenions le tram, ensemble, religieusement, pour nous installer dans un laboratoire de visionnement de l’Université.
-Prêt?
Le patron éteignait la lumière, lançait le dessin animé. Si j’ai bon souvenir, l’épisode durait quelques vingt minutes. Pendant ce temps, sur la banquise, l’équipe de pingouins réalisait toute sorte de prouesses et parlait le pingouin. Quand le ‘écran affichait le mot Fin, le patron rallumait. Le travail commençait.
-Le hameçon.
-Oh, oh, oh, comme tu y vas!
-C’est ce qui revient, le hameçon par-çi, le hameçon par-là.…!
-Pas assez parlant.
-Pingu prend des risques.
-Trop long.
-Un poisson qui résiste.
-Cérébral. Je propose Pingu pêche!
-Pingu pêche? Tu te fous de moi? Mais il pêche tout le temps. Il ne fait que ça, pêcher, dans tous les épisodes il pêche.
-Bon. Zut!
-Oui.
-Pingu se jette à l’eau…
-Répète.
-Pingu..
-Pingu se jette… Mais c’est pas mal ça!
Et le patron rallumait, nous quittions notre sous-sol, nous reprenions le tram avec le sentiment du devoir accompli.