Maçon

A seize ans je tra­vail­lais à Fri­bourg, sur les chantiers, en tant qu’aide-maçon. L’autre manoeu­vre, un Yougoslave que le ouvri­ers appelaient “youy­ou”, me don­nait des ordres. Il le pou­vait: il était à la fois plus fort, plus grand et plus ancien. Il avait deux sujets de con­ver­sa­tion. Du lun­di au mer­cre­di, il par­lait des filles qu’il avait con­nues pen­dant le week-end à Châ­tel-Saint-Denis. A par­tir de jeu­di, il racon­tait ce qu’il ferait avec les filles de Châ­tel dès ven­dre­di, à la sor­tie du tra­vail. Fin du mois, le patron m’a remis la paie. L’en­veloppe con­te­nait Fr. 1000.- je les ai dépen­sés dans la bou­tique d’un cou­turi­er inter­na­tion­al de la place Colon à Madrid. La vendeuse m’a passé sur les épaules un man­teau de laine vierge à la coupe impec­ca­ble. Prix: Fr. 700.- Impres­sion­né par le prix, je n’ai pas osé dire qu’il me parais­sait un peu trop grand ni attir­er son atten­tion — ce qui longtemps gâcha mon plaisir — sur un fil qui pendait de l’ourlet inférieur.