Conversation disloquée

A — J’ap­pelle, tu ne décroches pas!
G — C’est le bord. Si tu écoutes ce que je dis sur mon mes­sage vocal — que j’ai instal­lé, tu ver­ras: ça m’én­erve!
A — Bizarre, je viens d’ap­pel­er Luv, ça mar­chait.
      Ai enfin réus­si a me faire aider pour décharg­er le porte-man­teau!
      J’ai téléphoné à Rafael. L’ai réveil­lé de chez les morts. Il avait l’air hagard.
      Mais pourquoi ce soir ça ne marche pas?
G — Essaie toi, moi c’est le bor­del!
A — Oui, mais j’ai déjà essayé trois fois. Il ne se passe rien. Est-ce que ça sonne chez toi?
      Ai signé le con­trat inter­net ce matin. J’imag­ine que mar­di l’an­tenne satel­li­taire devrait être           instal­lée.
      Ici, temps mod­este. Gris. Silence absolu dans le vil­lage. Hors du monde.
      Vu mon petit bureau? Faut bien met­tre quelque par l’or­di­na­teur de com­mu­ni­ca­tion.
      Je te vois. Tu es devant le sapin à Fri­bourg!
      Lec­ture pas­sion­nante de Miguel Benasayag sur la neu­rolo­gie du cerveau.
      Enfoiré de Tarik Ramadan, qu’il croupisse en tôle!
      Moine Friederich, ça com­mence à bien faire!
G — Moi je vais deman­der une cel­lule de nonne quelque part.
A — Par exem­ple au milieu des riz­ières avec pour voisin un Suisse bien con­nu?
      En pagne.
      Plutôt qu’en panne.
G — Tu as bu?
A — Et j’écrirai sur l’eau, comme ça, plus besoin d’édi­teur.
      Pas bu. Sport à tous les étages.
      TRX en fait.
      J’ai lu toute la journée.
G — Bon, dom­mage, demain je pars au chalet de Lysia et sais pas du tout si là bas ça marche.
A — Très heureux qu’il y a au moins deux auteurs dans le paysage intel­lectuel qui relient posthu­man­isme et néolibéral­isme.
      Qui est Lysia?
G — T’ai déjà par­lé d’elle.…. Une Grecque.
A — Et tu seras où?
      Ton den­tiste. Assure-toi qu’on puisse bien par­tir autour du 10. J’ai pas envie de poireauter à Lau­sanne.
G — Direc­tion le Mont-Blanc.
A — On pour­rait s’ar­rêter à Vil­leneuve.
      Mont-Blanc, bien.
      Ai trou­vé l’ex­pli­ca­tion des âmes télé­pathiques. Ben­jamin Libet (je le lisais à Yogyakar­ta en 2013, mais j’avais pas com­pris) a décou­vert que la déci­sion n’est pas prise en con­science. Elle précède la con­science de la cause (de la déci­sion). Fasci­nant!
      Au fond, on est assez peu un “je”.
G — De ce côté là c’est aus­si l’in­con­nu.…. C’est pas gag­né. Soit je ren­voie tout début juil­let soit il me dira le 26 mars ce que je peux faire.
A — Pour un écrivain, c’est une décou­verte ter­ri­ble. Mais c’est très ras­sur­ant pour ce qui est de la mort.
       Ouais, qu’il te dise. Juste, me taper les bobos et les Négus dans Lau­sanne, c’est pénible.
       Sinon, la san­té?
       Moi, je dors dix heures par nuit sans insom­nies. Mais aus­si, je n’écris pas.
       Il y a juste, comme d’habi­tude, ces tacherons de Cor­favens qui me font chi­er pour les impôts et tu imag­ines, je paie Fr. 450.- par mois et ils me don­nent RIEN.
      Ces Suiss­es! Sont devenus aus­si minables que leurs voisins de France.
      Je pense que si on parvient à te trou­ver un bel endroit puis par­tir pour une péri­ode au Cam­bodge,  on va se faire plaisir.
     Mon père qui est en ce moment en Thaï­lande me dit que la nour­ri­t­ure reste excel­lente mais il est vrai que mon père, c’est pas Bocuse!
G — Fasci­nant. Te l’avais déjà dit.…. tout est déjà prévu. Alors pourquoi stress­er? Faut atten­dre si pos­si­ble un verre à la main. C’est tout de même affligeant de penser qu’à ce niveau là nous ne sommes pas à la barre.
A — Oui, c’est incroy­able!
      Cela boule­verse toute mon approche philosophique. Heureuse­ment, j’ai tou­jours gardé sous le bois­seau un côté pan­théiste.
G — On mange mal au Cam­bodge.
A — Et puis il y a l’art. Nul ne nie la réal­ité de l’ex­péri­ence esthé­tique.
      Ouais on mange mal mais avec une bonne cuisinière et du fric, on doit pou­voir faire des mir­a­cles, non?
      Et, dans un pays pau­vre, quand tu es riche, tu es riche. Alors qu’en Suisse, pays riche, quand tu es riche, tu es pau­vre. CQFD.
G — Pan­théiste.… Tu me qual­i­fi­ais de cela lors d’une de nos pre­mières descentes à Paris.
A — Prof­i­tons de faire des choses extra­or­di­naires, car le Pro­grès nous enfonce dans l’or­di­naire. Je plains les enfants.
      Ah, ha, bonne mémoire!
      Les gens stressés, dit la neu­rolo­gie, ont moins de mémoire. Je ne par­le pas pour moi, bien enten­du…
      Bon, je vais aller manger ma Mine­strome et fix­er le porte-man­teau.
      Moins neu­rologique, je me réjouis de te tenir dans mes bras.
      Evidem­ment, effet per­vers de la tech­no, sur Skype on écrit en petit-nègre…
      Dès que je reçois ton dernier mes­sage, j’es­saie de t’ap­pel­er — dès fois que ça marche…
G — Un mine­strone. L’art c’est pour le dépasse­ment de notre con­di­tion humaine si pénible à encaiss­er une fois que l’on a com­pris. Bon appétit!