A nouveau dans le déménagement. Moins embêté qu’à l’ordinaire. Je dirais même que je développe dans l’exercice un certain talent. Une professionnalisation. Dans la pièce s’accumulent des tas distingués, l’un expédiable dans le Nord de l’Espagne, l’autre pour la Suisse, le dernier pour la voiture — ce sont les affaires de première nécessité. A l’heure du goûter, vient ce couple qui travaille pour Oracle, lui Italien, elle Indienne ou noire, ou encore les deux. Ils soulèvent mon canapé, le retournent, cherchent ses points faibles afin de le démonter, l’encaisser dans l’ascenseur et le ranger dans leur voiture, tout en admettant qu’ ”il faudra louer une camionnette”. Venus avec deux caisse d ‘outils dignes du F.B.I., ils se félicitent: “ce n’était pas si difficile!”. Je pactise: “la technologie a beaucoup progressé”. La femme, curieuse :
-Où avez-vous dit que vous alliez?
Ne trouvant pas la réponse (du moins en une phrase), je dis:
-Au Cambodge, acheter des T‑shirts.
Eux partis, je désosse les tables, les chaises et le sac de boxe, je range le sucre (j’ai acheté par erreur cinq kilos) et les produits de lessive (sept flacons), puis je vais chercher la voiture. Nous sommes dimanche, je vis en face du centre des Urgences, il y a une pharmacie ouverte jour et nuit. Miracle, deux parents déboitent avec leur fille qui vient de s’ouvrir le genou, je me gare, je charge. Enfin, après six heures passés à porter, ranger, scotcher, j’ouvre une bouteille de bière Skol prise chez le Chinois et tombe sur ce mail de la nouvelle propriétaire : “que voulez-vous faire exactement avec l’appartement que je vous propose? Qui vivra là?”. Et je devine: elle me croit riche (d’après la voiture), elle sait que je suis écrivain (donc pauvre), je lui ai dit que j’y habiterai peu. D’où la conclusion: il va trafiquer de la drogue.