Chez Luis

Le marché de légumes au coin de la rue. Un local étroit. Pour y pénétr­er, il faut sauter une marche depuis le trot­toir. Le sac à la main, la clien­tèle défile devant les amon­celle­ments d’av­o­cats, d’o­r­anges et de tomates. Deux frères y tra­vail­lent. Même taille, même vis­age, cinquante ans à eux deux. Ils se tien­nent der­rière la caisse, en bout de course, attrapent les sacs, les pèsent, comptent à voix haute. Au milieu des amon­celle­ments, l’homme à tout faire. “Paco, un mel­on! Rap­porte de patates! Passe-moi du per­sil!” Mais la bou­tique est le domaine des femmes. Leur moment. Elles bous­cu­lent sans s’ex­cuser, deman­dent un prix, tâtent, vont et vien­nent. Si vous n’y prenez gare, elles se fau­fi­lent, vous perdez le tour. Quand elles ont enfin réu­ni leurs achats, noté le prix, elles se sou­vi­en­nent: “il me faut des navets! Tu as ça Luis? Et de la “hier­ba bue­na”? Donne m’en!” Alors sat­is­faites, tar­dant à sor­tir le porte-mon­naie, elles expliquent ce qu’elles vont faire avec ces légumes. L’une après l’autre. A expli­quer la recette. “Moi, je fais le “puchero” avec un peu de navet, voyez-vous!”. Der­rière la caisse, le vendeur fait mine de recompter. La cliente con­tin­ue: “il y en a qui met­tent du poivron, mais pas moi, ça devient amer”. Et comme cela ne s’ar­rête plus, sans y penser, le vendeur fait: “oui, oui, du navet… A qui le tour?”. Quand la ménagère qui par­lait du “puchero” quitte la bou­tique, la suiv­ante entonne: “aujour­d’hui, je fais un “salmo­jero” et une tor­tilla. Tu es sûr qu’elles sont ten­dres tes tomates Luis, parce que pour la soupe…”?