Bois


Il y a, près des baraque­ments de la garde civile, un ensem­ble de hangars des années 1950, façades à la chaux, mon­tants cimen­tés, enseignes peintes à la main. J’arrête la voiture dans l’impasse, baisse la vit­re, me ren­seigne auprès de deux messieurs, façon vielle Espagne, tels qu’on en ren­con­trait à chaque coin de rue à l’époque fran­quiste, chemise blanche, mocassins à pom­pon de cuir, devisant le cig­a­re à la main.
-Les bois Bus­tos, je vous prie?
-Mon cher Mon­sieur, j’ai honte, si-si Enrique, per­met-moi de le dire, hier j’étais à Boltaña, une dame me demande les caves de Sin­ues, eh bien j’ignorais tout de ce vin et de ces caves et voilà que la sit­u­a­tion se répète, je ne vais pas pou­voir ren­seign­er cet homme, mais je peux au moins vous dire ceci, allez là, der­rière ce petit mur, vous voyez le morceau de vigne, eh bien il y a un bar et même un restau­rant, prenez une bière, mangez un morceau, je vous recom­mande la morue à la tomate et nul doute que Juan, c’est le patron, ne sache où trou­ver votre bois, ou plutôt attendez…
Le gars tire sur son cig­a­re, hèle un camion, et me désig­nant au chauffeur :
-Cet homme a faim. Mais d’abord il cherche du bois…. Com­ment déjà ?
-Bus­tos.
Et le chauf­feur d’indiquer l’entrée d’une cour à quelques mètres où je décou­vre une famille, mon­sieur, ses deux fils, la fille et la mère, assis sur des bil­lots de bois, en plein soleil, au milieu de tas de bois, des hachettes à la main, occupés à fendre des bûch­es. Avec le père, j’entre dans le hangar. Il me fait tâter du châ­taig­nier et du hêtre, me con­seille sur le mélange, par­le fort, rit :
-Vous êtes anglais vous !
-Je suis de Malaga.
-Ah, ah, vous n’êtes pas anglais ! Et ce camion, il passe dans votre rue ?
-Trop gros !
-Celui-là ?
-Encore trop gros.
-Bien, on va venir avec ce petit, là !
-Et les deux mille kilos de bûch­es, on vous les place ?
-Com­bi­en est-ce ?
-Pour le plac­er ? 15 Euros! A midi, ça vous con­vient ? On y sera.
Quit­tant l’impasse, je sors de la ville par les hauts et tombe sur la gare. Une maison­nette posée devant trois voies. Un ter­rain d’herbe rase et de grands pla­tanes qui hochent la tête au-dessus d’un con­voi à l’arrêt. Autour de tables répar­ties au hasard, des familles boivent l’apéritif. La serveuse sort de la gare par une petite porte, le bar est ouvert de neuf heure le matin à dix heures le soir. Je m’installe au pied d’un arbre. En enfilade, trois pan­neaux iden­tiques, boulon­nés con­tre les retours de quai : pro­hibido cruzar. Trois goss­es qui tapent dans un bal­lon saut­ent sur la voie et tra­versent ain­si de quai en quai pour se per­dre dans un ter­rain vague. Au fond, de petits immeubles d’habitation puis la mon­tagne cou­verte de sap­ins. En regag­nant Agrabuey par la val­lée de l’Aragón, je croise une loco­mo­tive-wag­on, c’est le train de France. Il relie Pau en neuf heures.