Avec André Gide, nous feuilletons un livre de la collection blanche de Gallimard.
-Vous devez être quelque part par là André? Quel âge aviez-vous à l’époque?
-Oh, dans les vingt-cinq ans!
Je feuillette en sens inverse de la lecture, à la recherche d’une photographie où l’on verrait Gide parmi ses contemporains, Mallet, Claudel, Suarès, mais le livre boursouffle, ils se délite, il fond, les lettres coulent, la reliure s’émiette.
Je quitte l’écrivain pour aller au salon. Monpère reçoit. Quatre hommes se tiennent là. Le centre d’intérêt est un vieillard blanc de peau et très digne, au port martial. A son côté, un téléviseur passe en boucle des images qui le montrent jeune, vêtu de l’uniforme de la SS, la croix de fer sur la poitrine, la casquette sur la tête, donnant des ordres.
-Tu as de la chance, me dit Monpère, je lui ai parlé de toi, Siegfried te salue!
Et mon voisin, un autre vieillard, m’explique:
- Il s’agit d’Erich Maria Remarque.
Mais on sonne. Je vais ouvrir. Se tient là une femme de 80 centimètres. Elle montre son invitation. Je la fais patienter, monte à l’étage, car la réception se tient dans deux salons distincts et si Monpère est présent des deux côtés, je ne sais pas où je dois introduire la nouvelle venue. Je n’obtiens pas de réponse, redescends et décide de la faire patienter. Comme nous sommes devant le bar, je propose un apéritif.
- Je prendrai un Speck, dit-elle.
Un verre à la main, je considère les bouteilles, ignorant absolument ce qu’est une Speck, cherchant à quel alcool elle peut faire allusion, conscient qu’elle ne va pas tarder à se fâcher.