Je me couche. Gala est en bas, elle regarde un film. Tôt le matin, des bruits. Habitué à partager dans l’appartement précédent la vie des voisins dont j’entendais les conversations, les pleurs, le sexe, les chiens, les casseroles, les matchs et les cris, je dresse l’oreille. Un couple, me dis-je. La configuration de nos deux étages pourtant est à ce point irrationnelle que les sons très vite se perdent. C’est Gala. Elle geint, vomit, se recouche. Je me lève. Un coup d’œil à la plage, soleil, tgemps splendide, ciel profond, l’Axarquie dans ses meilleurs jours. Je vais au café, au pain, à l’eau, savonne ma barbe, me rase, me douche et m’enferme dans le bureau où je poursuis mes corrections. A midi, Gala est toujours au lit. Un demi-heure plus tard, je la rejoins.
-C’est un virus, me dit-elle. le même qu’ a eu la fille de Victoria.
-Qui est Victoria?
-La dame qui loue la place de garage.
-Tu l’as vue dix minutes il y a deux jours! Allons donc! C’est ce thon! Nous, imbéciles en bout de chaîne sommes des poubelles.
Car mon tour est venu. Le ventre démonté, je grelotte. Je remonte le duvet et serre. Je transpire des gouttes. Gala est dans un état pitoyable. Blanche comme linge, fripée, tremblante. Je m’abîme puis reprends conscience. Cours à la salle de bains, essaie de sortir cette saloperie. L’estomac tient bon, elle résiste. Alors la fatigue m’assomme. Impossible de bouger. Les yeux ouverts, je regarde les actions “boire de l’eau”, “aller aux toilettes”, “se tourner” et ces actions demeurent là, devant mes yeux, sous la forme de phrases — rien ne se produit, je n’ai plus de force. Ensuite, mon état s’aggrave. Le corps lutte. Je délire. En même temps, je suis admiratif. Quel machine fantastique ce corps! Il se tasse, condamne les sens, recentre les énergies, fabrique ses anticorps et lance une attaque de batterie. Résultat, me voici pantelant. Même à plat, j’ai la sensation de chuter. J’essaie de réfléchir. Le cerveau ne fonctionne plus. Par exemple je me représente ceci, “je pense” et cela “je danse”. Au bout de quelques minutes, j’ai compris ce que veux dire, “je pense”. Quelques minutes de plus pour “je danse”. Mais alors, j’échoue à faire le rapport entre les deux choses. A la façon d’une chaîne coupée dont on aurait retiré des maillons: elle est désormais trop courte pour que les deux bouts puissent être réunis. J’y parviens. Mais alors, surgit cette question: “peut-on penser quand on danse?”. Pendant plus d’une heure, dans un semi-coma, je considère la question, impuissant à répondre. En vue, il y a mon estomac, et la darne de thon avarié. Elle pend à un crochet comme les pièces de chair chez Soutine. Je sombre, je me reprends. Elle est toujours là, au dans mon estomac vide, suspendue. Quatorze heures plus tard, je parviens à me lever. Je descends, bois de l’eau, cherche ce que je peux faire, remonte me coucher. Sombre encore. Six heures de sommeil. Je vois le scénario: un poisson qui arrive de l’autre bout des océans, par bateau, par camion, que l’on fourre dans un congélateur, étale sur un lit de glace à la vue du chaland, refourre au congélateur, qui se vend mal, il est trop cher, mais il y a les marges, le chef poissonnier a des ordres, alors il triche sur les dates, et le poisson atterrit dans nos ventres, devenus les poubelles de la grande distribution. Lundi soir, ce poisson. Aujourd’hui, vendredi, Gala est toujours au lit.