La jeunesse tient pour rien cette expérience que revendiquent les gens d’âge. Ils se vexent. L’effort intellectuel sert d’équivalent, prétendent-ils. Eh bien non! Il s’agit bien d’expérience au sens où celui qui a vécu a nécessairement cumulé les actes, remettant, par obligation ou par choix, le même ouvrage sur le métier. J’y pensais à cause des meubles. Je boulonne des chaises en faux teck et une table en poussière, des étagères de panneaux. Il y a quarante ans, je portais les meubles de brocante de ma mère. Dans les années 1990, je remplissais mon squat de Genève des meubles pris dans les poubelles des quartiers bourgeois, Florissant, Champel, Malagnou. Huit ans plus tard, j’étais dans le Sud-ouest de la France, à Gimbrède, je chinais dans les vide-greniers. A L’hôpital, il y a six ans, je fabriquais des meubles en achetant en scierie du bois noble, j’étudiais des plans d’ébénisterie, je mélangeais mes enduits. Ces jours, je commande ma camelote sur internet. Un parcours complet que l’on pourrait nommer expérience.