Etat des lieux

Ramon récupère les clefs de son apparte­ment. Barbe claire, chemise lignée, pan­talons à plis et mocassins, il porte le cos­tume du retraité qui a fait car­rière et mérite le respect de la société. Il ouvre son dossier, pose une feuille de papi­er quadrillé sur la table de verre, déca­pu­chonne son sty­lo. Il n’y a pas d’é­tat des lieux, pas de liste des meubles, juste de la vais­selle, des draps, des bibelots en vrac. Gala et moi avons net­toyé comme des Suiss­es (autre­fois, les Suiss­es agis­saient avec métic­u­losité), l’ap­parte­ment est impec­ca­ble. Il en fait le tour, pointe sur les têtes de lit vertes, bleues, dorées, sur une applique, une coupe à fruits, con­state que j’ai rem­placé mes sup­ports de douche métalliques, à peu près sobres, par les siens, des nœuds papil­lons en faux cuiv­re.
- Tu as les modes d’emplois des machines?
Que je me sou­vi­enne, je ne les ai jamais tenu en main. Mir­a­cle: j’ou­vre une armoire, ils y sont. Ramon se promène dans les pièces. Il est épaté. Jamais le loge­ment ne faut aus­si net. Nous avons peaufiné. Même les vingt natures mortes chi­nois­es, dont une à dou­ble, broc d’eau avec cit­rons, sont accrochées au mur. Puis il pointe sur un bougeoir de château en laiton à branch­es mul­ti­ples que j’ai recalé sur le bal­con.
- Et les bou­gies?
Ce sont de grosse bou­gies rouges, à demi-coulées.
- Oui, je les ai vu quelque part.
- Peu importe.
Car en fait, il n’en a cure. Il par­court une liste fic­tive, comme s’il visait réelle­ment l’ensem­ble des pro­priétés liées à l’ap­parte­ment. De fait, il ne sait pas ce qu’il con­tient. Dès mon entrée, il avait mis les choses au clair:
“Là, il y a des bouteilles, du vin et des alcools, tu peux les boires; ça, c’est peut-être utile? Et un fer à repass­er? Ah, regarde, il faut que je te mon­tre, ces assi­ettes sont pra­tiques…”.
Main­tenant, nous mon­tons sur le toit. Les chiens du voisin se jet­tent con­tre la treille de sépa­ra­tion.
- Les chiens, fait Ramon.
En effet, j’ai insisté. Comme il me demandait pourquoi je par­tais, j’ai répon­du: “les chiens, insup­port­a­bles!” D’ailleurs, je n’ai pas men­ti, et si, même après mon départ, pour le principe, on pou­vait les pass­er à la moulinette, je n’y ver­rais pas d’in­con­vénient.
Pour finir, Ramon me demande la clef de la piscine. Je lui tends la clef de la piste de pad­dle. Il me remer­cie.
-Bon, eh bien voilà, je te tiens au courant, moi je vais rester un peu.