Ces deux gamines qui venaient du pré, je les reconnus aussitôt. Pour qu’elles ne s’y trompent pas, je dis leur noms:
- Pascale Péron, Elsa Triolet! Vous n’avez pas changé depuis 1977!
Et j’étais sincère: le corps menu, la tête aimable et la peau douce, elles étaient aussi pimpantes qu’à l’époque où nous jouions dans les préaux ensablés du Cours Molière, cette école juive d’Aravaca, Madrid, où je faisais mes petites classes. Mais alors me revenaient en mémoire mes sentiments. Pour Pascale, un amour sans limite que je n’osais exprimer, pour Elsa, un intérêt plein de distance. Alors, pour ne pas faire de favorite, j’ajoutais:
-Je me souvient parfaitement Elsa, tu jouais du piano dans une maison proche des terrains vagues.
Cependant au réveil, je vis qu’il était impossible de travestir le passé: si j’appelais bien Pascale par son nom, “Péron”, je ne me souvenais pas du nom d’Elsa et c’est pour quoi je l’avais rebaptisée de celui que portait la femme de Louis Aragon.