Éprouvant ce séjour suisse. Mon peu d’envie de voir, de savoir, de circuler dans ces villes autrefois agréables et civilisées me devance. De l’aéroport de Cointrin, je vais à mon bureau de la Servette où j’ai fait envoyé l’abonnement de train; il n’y est pas. Un employé boit le café. Nous bavardons de sa coupe de cheveux, une boule à zéro. Il corrige, “un millimètre”, et m’explique les manipulations de la tondeuse. Je lui répète l’anecdote qui me sert en ce cas à faire de la conversation. Il y a vingt-cinq ans, l’un de mes meilleurs amis se moque de mon début de calvitie. Six mois s’écoulent, il est chauve. Vingt-cinq ans plus tard, je ne le suis pas. Après quoi le contremaître vient me prendre pour que je l’accompagne sur la fin de la tournée d’affichage dans les hôpitaux. Suivis par l’ouvrier qui sera chargé de ce réseau, nous marchons à grands pas à travers les couloirs de l’hôpital de gériatrie de Loëx. Apparaissent devant moi les cadres que j’ai négociés depuis décembre avec la direction de la communication: dans les ascenseurs, les cafétérias, les salles d’attente. Quand le repérage est complet, je prends le train pour Lausanne, me réfugie dans mon arrière-boutique. Le gérant parti, j’ouvre des bières. Pour quelques temps, je suis à l’abri. Ici, on entend pas, on ne voit rien. Douze heures de silence garanties, avant le réveil de la voisine, à l’étage. Autour de six heures, elle s’habille pour aller au travail: alors le vieux plancher, l’immeuble, les murs tremblent. Pour peu que je me rendorme, je serai plus dérangé avant la venue des employés qui à neuf heures passe prendre leur poids d’affiches pour assurer le service des panneaux municipaux de Lausanne. La journée, j’ouvre le courrier, je cherche des livres, je me glisse jusqu’à la cave où je lessive entre deux locataires dûment inscrits sur le calendrier du mois des habits en attente depuis novembre. Samedi, dimanche, avec l’Opel, dans la neige, aux Pléiades. Lundi, Paris. Et mardi, mercredi, jeudi. Vendredi, le Valais. A Martigny, les libraires ont préparé du blanc, du rouge de chez Bonvin et des croissants au jambon. Il est dix sept heures, mes livres sont disposés sur la table où il est convenu que je parlerai de Constance. Les clients demandent des titres, des emballages cadeaux, des avis. La libraire leur propose de rester prendre un verre. C’est vendredi, il fait nuit, ils ont une femme, des copains, des verres à boire ailleurs. De plus, il pleut et au coin de la rue il y a un stade où Debouze fait rire les amis du football club local à Fr. 1000.- la place. Bientôt, il est l’heure de fermer: personne n’est venu. Ainsi, je n’aurai pas à lire, pas à parler ni à signer. Avec les deux libraires, nous mangeons les croissants, nous finissons la bouteille. En tête à tête, je dîne avec l’une d’elles, et je suis désolé. Désolé qu’elles aient dû faire ces préparatifs, envoyer des invitations et se montrent encore, maintenant que l’affaire est pliée, si généreuses, m’offrant repas et bières, me raccompagnant à la voiture, sous la pluie et dans la neige. Fatigué, abreuvé, je roule sur cette autoroute en ponts et tunnels, au-dessus du Léman noir et constellé, sur cette autoroute que le automobilistes utilisent comme circuit de compétition, et l’on m’éblouit, me talonne, me double. Au chalet, Aplo et Luv que je n’ai pas revu depuis Noël dorment; leur cousin, Monfrère toussent; le poêle à pellets ronfle. Le matin de gros flocons humides tombent sur les sapins. Les enfants renoncent à aller skier. Il iront dimanche. Et à la fin du week-end, retour à Lausanne. Ma fille rentre à Genève, mon fils prend le bateau pour son internat dans le Val d’Abondance. Quant à moi, même programme, l’arrière-boutique. Cette fois, sans la bière: interdit de manger pendant vingt-quatre heures. Au réveil, direction Fribourg et l’hôpital. Après l’opération, je prends ma chambre dans la tour du NH, et sort dans la ville. Pendant trois heures, je photographie le décor de mon roman tel que je l’ai décrit au cours des quatre derniers mois assis sur la plage (je vérifie son existence): pans de murs, plaques de rue, cafés. Et compte les marches de l’escalier du funiculaire, il y en a 343; cherche le règlement concernant les “chats sauvages de la Ville”, il a disparu; note le nom du kebab devant lequel mes étudiants fictifs font la queue, le Memo kebab. Puis je vois un ami marchand immobilier qui me parle de vélo et de châteaux à vendre, un ami barman qui me parle de son licenciement, de sa formation en cours, assistant-culturel-sociologique-artistique, dans cet ordre ou dans un autre, je revois mon ami directeur de l’hôtel NH qui me parle de son couple, je bois accompagné, je bois seul, je me couche sans voir dîné, trente six-heures de jeûne maintenant, je ne me lève pas quand le personnel d’étage frappe, le renvoie quand il insiste, descend enfin au restaurant, niveau réception, où je me trouve avec un homme d’affaire qui aussitôt la salade de fruits engloutie me laisse seul face au buffet de vingt-cinq mètres de long. Le ventre plein, je reprends mon exploration, c’est le matin. Monte sur le Guintzet, descend dans la Neuveville, reçoit en début d’après-midi mon ami et employé dans la chambre d’hôtel 815, vue sur la Maigrauge, puis nos partenaires de Berne venus exposer une projet d’automatisation, enfin, Monami, avec qui nous sortons, mangeons, buvons, buvons encore. Le lendemain, retour dans l’arrière-boutique de Lausanne. Tri, livres, café, ennui. A l’occasion, je jette un oeil à la rue: je sortirai quand il fera nuit. A sept heurs par exemple, pour rejoindre la place de la Riponne où m’attend un militant. Dix ans que je ne suis pas allés aussi haut dans Lausanne. Ambiance commerciale, africaine, molle, droguée, maghrébine, française, argentée, sale. Nous essayons de manger — nous mangeons chinois. J’essaie de rentrer, je ne rentre pas — nous parlons d’armes. Le lendemain, je fabrique des Euros à partir d’argent suisse, paie les administrations qui m’expliquent que je leur dois tout et que je n’ai pas d’excuses, me demandent si je suis Français, me demandent où je vis, justifient des sommes fabuleuses, m’insultent en respectant les formes, bref me traitent de con. La séance finie, je sonne chez Monpère (appartement sans étiquette, sans adresse connue, où il n’habite pas). Nous allons manger dans cette Pizzeria dont il dit toujours, à un moment où l’autre, tandis que son serveur attitré, qui est kosovar, ressemble au poète et psychanalyste fou des Serbes de Bosnie, Karadjic, “l’affaire appartient à la maffia”. Mais à la différence des autres jours, je me couche tôt et bois peu, car au réveil, je suis en forêt, pour un entraînement, qui, fini, me trouve épuisé, boueux, de la poudre sous les doigts, prêt à affronter la ligne finale: manger des spaghettis bolognaises avec les enfants chez Olofso pour parler de l’avenir scolaire des nos demi-cancres, dormir saur un matelas jeté au sol dans le bureau de Genève, croiser Gala dans un café de la gare où deux Lesbiennes se regardent entre quatre yeux sans piper mot pour se dire qu’elles se quittent, se réveiller à quatre heures du matin, tasser la combinaison de surf et vingt-cinq livres dans la valise réglementaire easyJet, prendre le bus piur l’aéroport avec des fêtards en phase de descente, puis me faire arrêter au passage des douanes à Cointrin par le responsable des fouilles (un Brésilien bronzé en solarium et tatoué aux couleurs de l’arc-en-ciel), puis la Airport security (un Bellegardien coiffé à la moque de singe qui joue Keanu Reeves dans Speed) et un policier (un policier authentique qui épelant mon nom fait: “foxtrot-roger-info…clean.. charlie…tango…”) pour une balle de 9mm oubliée dans une poche. Un fois la balle saisie, classée, consignée, l’agent me fait:
-Attendez ce n’est pas tout! Mon collègue m’informe que vous faite l’objet d’une RLR.
-Qu’est-ce que c’est?
-Recherche de Lieu de Résidence.