Quittant le parc de l’Ouest à la tombée de la nuit, je donne de grands coups de pédale pour regagner le village. Depuis la rentrée des classes, le quai est moins encombré; il faut zigzaguer entre les couples enlacés, les coureurs et les badauds, éviter les chiens à la dérive au bout de leurs laisses extensibles et les poussettes garnies de pare-soleils, mais enfin, ce n’est plus la foule de l’été. Je franchis les obstacles, mais modère le rythme: j’ai oublié mon casque. Passé le port industriel, ses rails de train de charge et ses barrières de la garde civile, je pense: “je vais crever”. Jetant un coup d’œil inquiet sur la roue arrière, je conclus: “c’est fait!”. Le pneu s’affaisse. Il paraît affaissé. Ou est-ce une impression? Je me retourne : c’est ma vision qui est affaissée, ce pneu est dur! Pourtant, je continue de le soupçonner… Il est atteint. Si je continue, je vais crever. Je double les Bañeras, ce café bâti sur les flots qui marque la sortie de la ville, j’entre dans le trafic. Les panneaux lumineux qui surplombent les deux files de voitures déclenchent leur rappel à mon passage: 40km/h. Quand la route donne l’assaut à la colline, je grimpe par le chemin. Voici la marina. Son nom est “le cadenas” et les embarcations tanguent dans le noir. Des mouettes tournent au-dessus de la plage aux chats. Pour anticiper les embûches du chemin côtier, je mets mon phare sur lumière continue — il était alternatif; mais c’est un phare chinois, autant dire symbolique, et ma roue heurte un caillou, je crève. Ai-je crevé? Oui, je le sens. Mon pneu se dégonfle. Et que se dit-on alors? Alexandre, tu te trompes! C’est une illusion! La résistance est bonne. La chambre à air tient, elle va tenir… Jusqu’au moment où la jante tape le dur. Je pousse. Les cyclistes que j’ai doublé me rattrapent et s’enfoncent dans la nuit. De quoi ais-je l’air? A pousser mon barda? A souffler? Les pêcheurs se retournent. Au village, je défile devant les terrasses de café et, comme tous les jours, quand je retire les trois litres de bière Skol de l’armoire frigorifique du Chinois, la femme me fait:
- Un sachet?
- Non, non, j’ai mon vélo!