Douce nuit

Revor et Anice, les amis anglais chez qui enfant je pas­sais mes étés me con­duisent sur les bor­ds d’une riv­ière semée de météorites. Dans une baraque, je com­pile des 33t. du groupe anar­chiste Crass, faisant val­oir auprès des Anglais que j’ai acheté ces mêmes dis­ques à l’âge de douze ans lors de mon séjour dans leur cot­tage de Leices­ter et que je les croy­ais introu­vable; mais non, l’his­toire  a con­tin­ué en sous-main, la preuve, voici mêmes des inédits et des titres nou­veaux! Revor man­i­feste une curiosité polie. Une voix chevrotante et apaisée s’élève der­rière un rocher.
“Je vais mourir, mais ne vous inquiétez pas pour moi!“
Un pique-niqueur con­fie:
- C’est Mon­seigneur Bertel­by.
Quelques pas à tra­vers le cat­a­clysme et je prends place dans la file qui mène à l’avion. L’hôtesse qui demande ma carte d’embarquement est boudeuse. Le con­tenu de mes poches s’é­parpille. Il y a plusieurs sortes de mon­naies, des tick­ets de caisse, un crois­sant en miettes, des notes lit­téraires et un coupon; je le lui tends, il n’indique pas le numéro de votre siège, dit-elle. Mon désem­pare­ment la fait rire. Nos yeux se ren­con­trent, elle sourit, je lui adresse un clin d’œil. L’hôtesse dépose une morceau de pain sur ma langue. Avec cette obole, je pénètre dans l’avion. C’est un rafiot armé par une com­pag­nie sud-améri­caine. Les ban­quettes sont découpées dans des planch­es de chantier, les chais­es et tables volées sur des ter­rass­es de bistrot, l’air est sat­uré d’odeurs de graisse, quant au moteur, il fait trem­bler la car­lingue. Instal­lé dans une chaise de plas­tique, je prévois de dormir au sol pen­dant le voy­age. Puis je décide de not­er ce que je viens de racon­ter et cherche une pièce à l’é­cart. J’en décou­vre une der­rière un amon­celle­ment de meubles. Pour libér­er l’ac­cès, je dois déplac­er un vélo. Il appar­tient à P. de R. Lorsque celui-ci le récupère, il est en pleine con­ver­sa­tion avec ce pouilleux de Valar, à qui il explique:
“Mireille va aban­don­ner son gosse si on ne le prend pas avec nous ce soir, elle n’en a rien à foutre de ce gosse tu com­prends, ce qu’elle veut c’est sor­tir, d’ailleurs, si elle l’a­ban­donne, il ne revien­dra jamais!”