Continuité

Pour tra­vers­er le temps quand on vit seul, il faut suiv­re sa pen­sée. Bien­tôt, le rythme est con­stant. Le monde s’aplatit, devient paysage, il file. L’ex­er­ci­ce n’est pas drôle, mais il est agréable. Par moments, il agace les nerfs: on ne sait plus s’ar­rêter, la fuite en avant s’im­pose. Soudain quelqu’un télé­phone, annonce sa venue, frappe à la porte, s’in­stalle. Alors la société reprend ses droits. La langue est partagée, les repas, la bois­son — tout le jour, tout le temps. C’est drôle et agréable; ensuite, c’est moins drôle; enfin, c’est désagréable. Surtout à par­tir d’un cer­tain âge. Car si c’est la sit­u­a­tion habituelle de la jeunesse qui explore et cherche, c’est la sit­u­a­tion par défaut de la vieil­lesse qui s’emploie à faire pass­er le temps. La parole tourne et revient. Les sujets tour­nent et revi­en­nent. Sauf si l’on dis­pute avec art, mais cela sup­pose de s’être penché sur des textes, d’avoir four­bi ses armes, d’avoir du neuf à pro­pos­er et donc, d’avoir été, d’être seul.