Atterri à Caen dans un aéroport miniature. Une dame agite un panneau au nom du festival Epoque. Identité intermédiaire: vous êtes assez connu pour que l’on s’intéresse à vous, pas assez pour que l’on sache vous reconnaître. En route, nous parlons de ce temple cambodgien sur la frontière thaïlandaise que les deux pays se disputent depuis trente ans. Elle s’y est rendue en février. Proximité des choses lointaines. La dame est une bénévole qui véhicule les écrivains à bord de sa voiture depuis la première édition du festival. Nous passons un barrage de police, elle me dépose sur la place Saint-Sauveur, on me remet un badge. Ville blanche, lacunaire, traversée de vent frais. L’un de mes éditeurs, après avoir quitté Paris, a acheté, selon ses termes, une maison mil-neuf cent au milieu de la campagne. Plus tard, comme je lui fais remarquer que cela n’existe pas, il acquiesce. En attendant, je le cherche. Sorti d’Espagne — je viens de le constater — mon téléphone portable ne fonctionne plus. Les Espagnols ne quittant pas l’Espagne, le vendeur de téléphonie a omis de signaler cet inconvénient. Je fais appeler l’éditeur par un des responsables de la librairie Guillaume chez qui je signerai mes livres. Tandis que j’écoute la tonalité, un homme me fixe: c’est l’éditeur (à ma décharge, je ne l’ai rencontré qu’une fois, il y a dix ans, lors d’une lecture à Paris le long du canal Saint-Martin). Il est ingénieur aéronautique, poète et spécialiste de Rimbaud. Il a fait le voyage d’Afrique dans l’ordre des stations, sur les traces du génie. Le soir, je cherche l’apéritif des écrivains, ne le trouve pas, bois seul, dors tôt, dors mal, suis réveillé par les hurlements des fêtards, ne dors plus, me rendors enfin, vacille jusqu’à la salle des petit-déjeuners (le réceptionniste m’accompagne à la porte, s’efface en précisant: “tout est automatique, vous prenez un plateau et vous faite le tour.”), puis je rejoins la place Saint-Sauveur et m’assois derrière mes livres: easyJet, Fordetroit, Cassations, 45–12. En fin de matinée, Jean Rouaud prend place à côté de moi. Nous nous sommes rencontrés une fois, à Genève, il y a vingt-cinq ans, lorsqu’il a reçu le Goncourt pour Les champs d’honneur. Ce jour-là, je lui avais dit. “je trouve votre livre surécrit”. Il avait répondu: “Oui, c’est volontaire!” Fallait-il être un blanc-bec pour imaginer le contraire! L’après-midi, débat sur les Etats-Unis en crise avec Thomas B. Reverdy, Lionel Salaün et une scénariste de Bande dessinée, Loo Hui Phang. Tour de parole, courtoisie, tentative de dire ce qu’on veut dire, et difficultés habituelles, vitesse, efficacité et résumé contre profondeur, analyse et réflexion. Quand le discours prend forme, que je draine quelques pensées, le gong retentit: l’heure est écoulée, chacun remercie et s’en va.