E.



Après être resté 20 ans sans nou­velles, cette nuit, je retrou­vais E. Com­ment expli­quer qu’une amie que j’ai vue tous les jours pen­dant plus de dix ans dis­paraisse. Par leurs effu­sions, nos retrou­vailles indi­quaient assez le désem­pare­ment provo­qué par cette rup­ture. Elles avaient lieu dans un bâti­ment aban­don­né (lieu cou­tu­mi­er de nos ren­con­tres dans les années 1990) dont nous seuls, hormis un com­merçant Chi­nois, avions le secret. Je veux dire que ce bâti­ment, con­stru­it au milieu de la ville, délabré et muré mais exploitable, n’était vis­i­ble que pour nous. Autour d’une table de bois, nous buvions des canettes de bière (là encore, comme nous l’avons fait au quo­ti­di­en, pen­dant des années, pour s’adonner aux joies de la con­ver­sa­tion). En même temps, je répé­tais mes rou­tines au Glock : saisie du pis­to­let, ori­en­ta­tion, visée. L’arme s’enrayait. Après véri­fi­ca­tion du chargeur, j’y trou­vais une 22 long rifle. Là, me dis­ais-je, tu as raté ta sor­tie, tu es mort. Puis je remet­tais à l’étui. Sur la lande déboulait un Français à bord d’un véhicule de sa fab­ri­ca­tion. Cet homme crasseux et fruste van­tait les mérites de son engin. Il était ridicule. Plutôt que de se l’aliéner par un con­flit, nous le flat­tions mod­este­ment en espérant que cette tac­tique le dis­suaderait de s’intéresser à notre petite réunion.