Rigueur

Tel fonc­tion­naire du ser­vice de l’e­space pub­lic, dans un dossier dans lequel nous sommes parte­naires, cor­rige mes dires: “Pas du tout, je vous assure! Ce que vous cherchez se trou­ve ici et là! Croyez-moi, je con­nais par­faite­ment la ville! Du reste, lais­sez-moi faire!” Et avec générosité, il m’af­fecte un urban­iste. Accom­pa­g­né de cet escorte, j’ar­pente le ter­ri­toire sur lequel porte notre pro­jet et, au terme de la vis­ite, tombe la con­clu­sion:
- Eh bien, nous sommes désolés, Mon­sieur Friederich, vous aviez rai­son!
Le lende­main, à Fri­bourg cette fois, Gala me demande de lui expli­quer som­ment se ren­dre à l’Auberge des qua­tre vents. Je donne le numéro de bus, nomme l’ar­rêt où descen­dre, annonce qu’il fau­dra cepen­dant marcher le dernier kilo­mètre. Elle insiste pour que je l’ac­com­pa­gne. Je tiens bon. A l’âge de qua­torze ans, j’ai juré ne jamais mon­ter dans un bus: ce n’est pas aujour­d’hui que je vais me dédire.
- Voilà com­ment nous allons faire, lui dis-je. Lorsque le bus démarre, tu fais son­ner mon télé­phone. Je me tiendrai au pied de l’ar­rêt lorsque tu arriveras.
Le télé­phone sonne. C’est Gala:
- Attends, ne rac­croche pas, je te passe le chauf­feur.
Et celui-ci de m’ex­pli­quer que je me trompe, qu’il con­vient de descen­dre à l’ar­rêt Forum pour se ren­dre à l’Auberge des qua­tre vents. Gala me répète que je me suis trompé, qu’il faut la rejoin­dre au Forum. J’en­tends le bus qui démarre. Je me pré­cip­ite au jardin. J’en­fourche le vélo. Lorsque le bus sur­git au détour de la pati­noire, je suis au pied de l’ar­rêt Poya. Gala, debout dans le bus, ges­tic­ule. A bord, des pas­sagers l’aident. Le chauf­feur ouvre les portes les refer­ment, les rou­vre. Gala saute à terre:
- Heureuse­ment que j’ai demandé! Il faut descen­dre à Poya!
Cette igno­rance! Elle est inquié­tante. Le chauf­feur ne con­naît pas sa carte, le fonc­tion­naire ne maîtrise pas sa ville. En fin de compte, de quoi s’ag­it-il, sinon d’une absence de moti­va­tion, d’une absence de curiosité et de rigueur? Absences qui en se répan­dent dansa la pop­u­la­tion, que les abrutis jugent “sym­pa­thique”. Or, cela crée des con­cen­tra­tions de faux savoir. Du savoir par défaut. Illus­tra­tion par­faite des borgnes qui au domaine des aveu­gles sont rois. Pré­fig­u­ra­tion d’une société à risques; que dirigeront les médiocres, au nom des handicapés.