En mai dernier, alors que j’achète dans un magasin d’électronique une cartouche d’encre, les paniers proches de la caisse proposent des canots pneumatiques. J’hésite, consulte le prix et de retour à la maison, j’en parle à Aplo. Les jours suivants, il pleut. Vient l’été, nous quittons Fribourg, l’affaire en reste là.
Ce lundi, pour le même besoin, je retourne au magasin d’électronique. Dans le panier, contre la caisse, le bateau pneumatique. Je l’achète. Samedi en matinée, Monfrère arrive avec son fils. Je remplis deux sacs à dos d’un matériel de pique-nique, les confie à Luv et Aplo, nous montons en voiture. Dans une station service, Monfrère achète des barbecues de secours après que j’ai fouillé en vain la cave et le garage en espérant trouver les ustensiles rapportés de Lhôpital (et qui ont dû, comme quelques centaines d’autres biens, disparaître pendant les deux ans où je ne suis pas retourné dans la maison). Comme je suis garé sur une ligne jaune, une voiture de police m’oblige à déplacer la voiture. La manœuvre difficile exigée pour placer la voiture dans les cases prévues à cet effet est heureusement interrompue par le retour de Monfrère et nous partons pour l’Abbaye d’Hauterives. Nous contournons le domaine immédiat du bâtiment monastique, empruntons le pont sur la Sarine et longeons sur un kilomètre la berge gauche pour atteindre au fond de la forêt cette clairière adossée à un cataclysme où j’ai plusieurs fois pique-niquer avec Gala et les enfants. Un chien se jette sur moi et me mord au sang. Un autre danse contre mon ventre. L’effroi passé, j’invective son propriétaire, une jeune femme qui le récupère sans mot dire. Autour d’un feu, quinze cavaliers dont au moins dix hommes. Tous portent des chapeaux de cow-boys. D’autres chiens aboient contre les enfants. Le sang qui ruisselle dans ma chaussette me remet en verve et j’insulte le groupe. Il répond. Nous gagnons la grève. Les enfants se déshabillent, ils gonflent le pneumatique, assemblent les rames, j’éponge ma cheville, nous ouvrons des bières. Les chiens reviennent. Monfrère ramasse un caillou. Dans la forêt, nouvelles insultes. Nous coupons du bois, fabriquons des matraques. Quand le chien revient, nous essayons de l’assommer. Monfrère remonte vers le groupe et menace. La situation est tendue. Nous ne sommes que deux, nous avons des enfants. Ils ont des chiens, des chevaux, ils sont nombreux. Nous cherchons ce que ça peut être: des drogués en réinsertion emmenés par un assistant social (l’un d’entre eux porte un gilet orange)? Un heure s’écoule, puis nouvelle charge: les insultes fusent, les chiens se baladent. J’appelle la police. Comprenant que j’appelle, le groupe s’agite. La jeune femme propriétaire du chien emballe ses affaires et part sur le sentier en direction de Marly. Au standard, la policière, tranquillement:
- Monsieur, il faut me dire de quelle passerelle il s’agit… Ce n’est pas si simple… Je vais vous envoyer quelqu’un, mais…
Entre temps, l’un des hommes, la main sur la bride s’est approché avec son cheval. J’envoie les enfants sur une île de galets au milieu de la Sarine. Monfrère bloque le gars en appuyant son coude contre son cou. De l’autre main, il brandit un bâton. En retrait, calme, prêt à frapper, je dis à Monfrère de ne pas porter le premier coup: j’ai conscience que si cela tourne à la bagarre générale il pourrait y avoir un mort. Je rappelle. La policière me passe les agents. Les agents me demandent d’expliquer.
- Vous traversez la rivière et vous remonter par la berge de gauche à contre-courant.
- La berge de gauche…? Laquelle?
- Ecoutez, ici, nous sommes dans une impasse, certains partent dans votre direction, ils sont à cheval, dépêchez-vous!
Cet échange rend furieux les cavaliers. Monfrère garde la position, coude haut, prêt à frapper l’homme au visage. J’ai moi-même un bâton, je sors mon couteau.
Battant en retraite, les cavaliers se dirigent vers le monastère. Cinq minutes plus tard, la police arrive sur la grève. Les enfants sont toujours sur l’île.
- Alors, vous avez pu les arrêtez?
- Que voulez-vous qu’on fasse?
- Mais qui sont ces gens?
- Ah, ça, dit le plus âgé des flics, je n’en sais rien. Vous pouvez déposez plainte contre inconnu si vous voulez mais il y a peu de chance que cela aboutisse. Quelle est votre nom?