Au début de l’année, Aplo perd une des clefs de l’appartement. Une première clef ayant disparue, il en reste donc deux. Or, la semaine, nous sommes trois. Je garde la mienne, Gala et Aplo échangent la leur. Puis Gala, à son habitude, disparaît et les choses s’arrangent. Mais voilà que le mois dernier Aplo va au cinéma et perd la seconde clef . Je m’énerve. Comment est-ce possible? Elle était attachée à une chaîne, il la portait autour du cou! Pendant que jouait le film il l’a posée sur l’accoudoir. Je le renvoie au cinéma. La salle est fermée. Le lendemain, il se précipite. Et revient bredouille. Nous n’avons donc plus qu’une clef. J’appelle la régie. Une dame me rassure: ce que nous avons dit à votre femme lorsqu’elle est venue réclamer des doubles est faux, vous n’aurez pas à remplacer la serrure, nous pouvons faire des copies. D’abord soulagé, je vois ensuite de quoi il en retourne: la régie va me faire payer deux clefs de remplacement puis à terme, mais, précise la dame, au plus tard lors de la remise de l’appartement, il nous faudra tout changer et cela vous coûtera Fr. 450.- N’est-ce pas fantastique? Un gosse père une clef et la régie vous réclame Fr. 450.-? Mais il y a pire. Une autre dame, celle-là pincée, à la limite de l’arrogance, m’explique:
- Si nous commandons des doubles, vous les aurez dans quinze jours, en revanche, pour le changement de serrure, il faut compter un gros mois.
Une semaine passe. Je prends contact avec l’assurance responsabilité civile d’Aplo. Celle-ci annonce qu’elle prendra contact avec la régie. J’appelle la régie. A‑t-elle eu contact avec l’assurance? Non. Quelques jours plus tard, l’assurance appelle: elle n’a pas réussi à joindre la régie. Je m’énerve. La dame de l’assurance précise: nous avons joint la régie, mais elle dit ne pas vous connaître. Au bout du compte, il apparaît que l’assureur a mentionné une autre adresse que mon adresse actuelle. Décidé à en finir, je rappelle la régie.
- Nous sommes dans l’urgence! Un mois, c’est impossible!
De plus, arrivent début juillet six Andalous à qui j’ai prêté l’appartement. Je ne peux tout de même pas leur remettre une seule clef!
La dame de la régie, inflexible:
- C’est comme ça!
- Et d’abord, où est-il écrit que le locataire qui perd une clef doit s’acquitter de la somme que vous exigez!
- Vous avez d’autres questions? demande la dame toujours aussi pincée.
- Non, j’ai trouvé la solution: restez devant le téléphone, je vous rappelle dans trente secondes.
Et je rappelle. Mais la dame a branché le répondeur. J’envoie donc un mail: “je viens de perdre la dernière clef, l’appartement est ouvert et je pars au travail, vous serez tenus responsables de toute vol qui pourrait avoir lieu”.
Là-dessus, je dîne dans un des bons restaurants de la ville avec Monfrère et Aplo. Quand celui-ci part pour l’école, nous allons au stand de tir. Je prépare l’arme quand mon portable sonne. C’est un serrurier. Je le prie d’attendre 15h30, le temps qu’Aplo rentre de l’école. Il lui ouvrira.
- Ah, vous avez tout de même une clef?
- Oui… Je crois.
- Parce qu’autrement, il faut changer tout le plan de fermeture.
- Le quoi? Écoutez, venez à 16heures, pour être sûr.
Aussitôt, je fais un message à Aplo. Puis je le sonne. Il ne répond pas. Je consulte ma montre. Il est sorti de l’école depuis un quart d’heure et toujours rien. Je décommande le serrurier. Monfrère part courir. Je roule en direction de Romont où se tient une conférence sur la culture. Je ne veux pas y aller. Je le dois. En effet, l’un des intervenants est Daniel Rosselat, le maire de Nyon et je veux lui demander d’installer un réseau d’affichage dans ses murs. Trajet en voiture, entre les blés, dans la chaleur. Je me représente ces deux heures de conférence. Cet ennui. De plus, à la fin de la séance des questions, l’orateur sera très sollicité, il me faudra jouer des coudes pour l’atteindre, retenir son attention, lui dire ma phrase. Et Gala qui vient de me quitter. Et cette maudite clef pour laquelle on me demande Fr. 450.- Aplo va m’entendre! J’occupe la dernière place de stationnement libre. La conférence fait le plein. Une hôtesse me remet un autocollant portant mon nom et ma distinction. A coller sur la poitrine. Je me glisse entre les participants, passe devant le buffet, gagne la salle, quand j’aperçois sur la scène un homme: ça doit être lui. Je descends les gradins. C’est bien lui, Daniel Rosselat. Je salue la dame avec qui il s’entretient et lui tourne le dos de façon à ce qu’elle ne puisse plus rien dire. Je pose ma question. Le maire me donne sa carte, je lui donne la mienne. Je ressors, je monte en voiture, je reprends la route. Ravi d’échapper à la conférence. Et de retour dans l’appartement, je vois qu’Aplo n’est toujours pas rentré. Il est six heures quand il apparaît, l’air de rien.
- Donne ton ordinateur! Donne ton téléphone! Confisqués!