Journées mornes. Jamais je ne m’étais senti aussi marginal. La ville qui s’étend au pied de la colline est étrangère. Lorsque je sors, c’est pour me rendre au restaurant de l’université en compagnie d’Aplo. Nous prenons la file avec les étudiants et tout de leur comportement m’étonne: leur lenteur et leur inquiétude, leur affabilité et leur gêne, leur gestes, leurs attitudes. J’ai beau chercher, je n’y retrouve rien qui, mis en regard de mon expérience et de mes attentes, n’offre un sens. D’ailleurs, nous sommes peut-être à l’usine. Il serait l’heure de manger, et nous mangeons, sous l’horloge, dans un plateau tandis que des Africains et des Arabes en tabliers clairs poussent des chariots dans les allées. Puis je me rassure: il y a vingt ans, la cantine du Centre médical universitaire de Genève, sur le plateau de Champel, me faisait le même effet. Je n’y allais pas. Nous avions notre table au café de la Paix, Boulevard Carl-Vogt ou au café des beaux-Arts, route de Carouge. Là se nouaient les conversations, là se faisaient les projets. De retour sur Plainpalais, je voyais les limites de la place, mais pas celles du monde. J’espérais aller loin; j’étais certain d’aller loin. Aujourd’hui, je me réjouis de partir. Où ça? demandait tantôt Monami. Il fallut avouer que je n’avais pas envisagé cet aspect de la question. Peu importe: la sensation d’asphyxie suffit à guider les pas. En attendant, lorsque je quitte le réfectoire de l’université, ici à Fribourg, je remonte l’avenue de l’Europe avec Aplo, puis celui-ci emmanche la rue des Ecoles, et je vais seul sur le dernier bout, montant dans mon bureau où, perché, je considère interdit cette ville dont n’émane plus aucune musique.