Bungalow

Dernier entraîne­ment, sur la plage de Pun­ta Sab­bioni, cet après-midi. Nous for­mons ensuite une ligne face aux qua­tre entraineurs dont trois cein­tures noires de karaté. Le silence obtenu, ceux-ci se tour­nent pour un “salut à la mer”, rit­uel qui entre­tient peut-être un rap­port solen­nel avec l’art mar­tial mais aucun avec la boxe et nous donne un air de secte. Puis cha­cun se dis­perse, se douche, s’ha­bille enfin en civ­il pour réap­pa­raître un peu plus tard au restau­rant du camp­ing, vaste salle de cent tables, dont une par­tie est ce soir réservée pour le club. La nour­ri­t­ure étant ce qu’elle est, je m’in­téresse à la bois­son et com­mande des canettes d’un litre. La soirée bat son plein lorsque le télé­phone sonne. Une des boxeuses m’an­nonce qu’Ap­lo a été arrêté par la police et donne les noms d’autres gamins afin que j’aver­tisse leurs mères.
Nous sommes dans un bâti­ment qui occupe une par­tie réservée du camp­ing. Le directeur des instal­la­tions me morigène en Ital­ien. Je lui oppose que je ne com­prends pas un traître mot de cette langue. Il hésite. Cher­chant mon avan­tage, je pro­pose l’es­pag­nol. Il ne le par­le pas. L’anglais? Il mar­monne une phrase. Par­fait. Je choi­sis donc l’anglais. Il débute une expli­ca­tion. Assis à l’é­cart, le vis­age fer­mé, Aplo. Les mains sur les hanch­es, l’or­gan­isa­teur du camp, un Suisse-alle­mand karaté­ka. Devant la porte, des agents de sécu­rité. Les gamins ont volé un véhicule élec­trique, une sorte de jeep de tôle décapotée. Repérés, ils se sont engagés dans une course-pour­suite. Per­dant toute maîtrise, ils ont enfon­cé un bun­ga­low. Enfin, ils se sont réfugiés dans une maison­nette que les gar­di­ens ont cerné, et les voici. Il désigne Aplo.
- Et les autres?
- Leurs mères sont allés les chercher.
Rom­pus aux exer­ci­ces dialec­tiques, je reprends le réc­it du directeur point par point, influ­encé par les trois Mai­gret que je viens de lire, me fais amen­er sur place à bord d’un des véhicules élec­triques, prend note des dis­tances et pho­togra­phie les dégâts. Au retour, même scène: le directeur, le karaté­ka, les agents, mais cette fois, dans les sièges dis­posées con­tre le mur, les autre enfants, et debout, bras croisés sur la poitrine, leurs mères. Le directeur s’ex­cuse, me prend à part. Il me fait ren­tr­er dans un bureau. Est-ce que je me rends compte de la grav­ité de la sit­u­a­tion? Non… Mais j’évite le sourire et hoche grave­ment la tête. Il demande ce que je compte faire. Et pré­cise: c’est d’é­d­u­ca­tion dont il est ici ques­tion. Propen­sion toute général de notre époque sans valeurs, à con­fon­dre infrac­tion à la loi et morale. Cepen­dant, l’homme est sym­pa­thique. Et sur les faits, il a rai­son. J’ad­mets ses griefs. Soulagé, il rou­vre la porte, nous revenons dans la pièce com­mune. Le temps de com­mu­ni­quer les adress­es en Suisse et de s’en­gager à faire inter­venir les assur­ances respec­tives, cha­cun se sépare, les enfants sont envoyés au lit.
Or, je trou­ve, un peu plus tard, devant mon bun­ga­low, en dis­cus­sion avec les deux mères, le karaté­ka. Assis sur la ter­rasse, une bière à la main, je les observe. Puis intrigué, les rejoins. Féru de morale, ou de ce qu’il nomme ain­si, celui-ci tient un dis­cours dont je vais bien­tôt faire les frais. Mon atti­tude, fait-il val­oir, était agres­sive, donc incom­préhen­si­ble. Il avait promis que le camp se déroulerait sans heurts, ce d’au­tant plus, dit-il, que le camp­ing ne “voulait pas recevoir d’ado­les­cents”. Ain­si, con­clut-il, que j’aie mis en doute l’ex­pli­ca­tion du directeur, relevé des preuves, lui paraît aber­rant, pire, vex­a­toire. Enfin, dit-il, si vous ne payez pas, je paierai de ma poche!