Nous ne voyons pas notre visage. Et le miroir n’y fait rien: il sert à corriger ce que nous voyons. Le propos relèverait du truisme si par trois fois au cours de la semaine écoulée je n’avais fait l’expérience de cette invisibilité.
D’abord à travers l’étudiant qui séjournait chez nous. Grand, plat, charmant et sympathique, mais dépourvu de ce chic qui plaît aux filles. Un soir il sort et me laisse entendre qu’il va emballer telle fille. Il se trouve que je la connais. Mon réflexe fut: j’en doute. Le pauvre, pensais-je, il ne s’est pas vu. Le lendemain, Gala me signale qu’il est revenu dépité. Les femmes sont bonnes juges de ces sentiments, elles en sont la cause.
Le soir, c’est à mon tour de sortir. L’entraînement sportif n’a pas commencé, je me tiens à côté d’un homme plus jeune que moi, chargé de la vente du matériel, protège dents, matraques, uniformes. Il a le crâne dégarni, les cheveux poivre-sel, il est mince et sec, a le visage oblong, le teint mat. Une fille me saisit le bras.
- Il me faudrait un couteau.
Plaisante-t-elle? Mais non:
- Oh, excuse-moi? Vous vous ressemblez, je t’ai confondu.
Pour finir, ma mère. Voilà vingt-cinq ans qu’elle séparée de mon père. Au cours de ces années, tout juste l’a ‑t-elle aperçu une fois de loin. Il y a quelques jours, à l’occasion de mon déménagement, auxquels sans se croiser tous deux aident, ils se rencontrent dans notre bureau de Lausanne. Mon père ne la reconnaît pas.
- Bonjour Madame, qu’y a‑t-il pour votre service?
Le cas est un peu différent. Il faudrait dire: de plus nous ne nous voyons pas changer pas plus que nous voyons les autres changer lorsque nous les fréquentions avec régularité.
Une note d’optimisme toutefois: je tiens que quelque soit le physique (et cela est particulièrement vrai pour les hommes, énigme de la nature s’il en est), le visage est modifié par la parole et par l’attitude, de sorte que le premier contact passé, une femme n’est plus aussi bon juge de l’apparence de l’autre.