Visite au dispensaire. L’oeil gonflé, la vue difficile et une gueule de matraqué. Je garde ma casquette vissée sur la tête tout le jour, retire le moins possible mes lunettes. Le médecin se nomme Monje (moine). A Fribourg, qualité de service irréprochable; on vous traite comme un objet et c’est bien de cela qu’il s’agit: vous remettez votre corps à l’institution, elle s’engage à le réparer. Ici, c’est autre chose. Le cabinet donne sur la mer, il est petit, quelconque, simple, sans machines. Le médecin est assis, il me fait asseoir. Il pose un bloc sur le bureau, décapuchonne un stylo.
- Vous avez eu de la chance.
Il ouvre un tiroir, en tire une loupe, écarte l’oeil, ausculte.
- Vous avez mal?
Je pense à cette Anglaise dans la salle d’attente. Visiblement en pleine forme, mais effondrée. Soutenue par un couple âgé, chenu, elle est en pleurs. Faute de blessure visible, on imagine le pire. Je ne sais si le médecin Monje est équipé pour le pire et dans ce cas là, être expédié vers Elche ou Alicante, n’est pas souhaitable. Certainement que vous redevenez alors un corps, mais à l’intérieur d’un dédale, avec en sus la gabegie administrative espagnole. En attendant, tout est bien. Monje et moi sympathisons. De même que je parlais français à Fribourg (personnel et patient étaient étrangers), je parle espagnol.
- Voilà, eh bien, il n’y a rien à faire. Attendre.
- Je peux courir, me baigner, me mettre au soleil?
- Vous ne pouvez rien faire. Vous pouvez vous asseoir et regarder défilé les chars de la semaine sainte. Ensuite nous enlèverons les fils. Il y en a beaucoup…
Mais à la réception, l’infirmière, une Anglaise, me rappelle que c’est le week-end, et que lundi est férié. Mardi? A Fribourg, le médecin a dit: les fils, pas plus de 5 jours. Mardi cela fera le double.
Et le lendemain matin, sans raison, je n’arrive pas à me lever du lit. La nuque. Comme si, après l’oeil, la douleur s’était déplacée: chaque mouvement m’arrache des cris.