Frère a réservé aux Casas rurales de Vegasierra, un hôtel de pierre bâti contre une pente escarpée qui domine la vallée de la rivière Mundo. La route qui y mène est à flanc de colline et tortueuse. N’était-ce la plaque kilométrique qui indique le hameau de Casas de Hachas, personne ne croirait qu’il puisse exister quoi que ce soit au bout de la route. Lorsqu’il entend le moteur de la voiture, un homme sort en courant et agite les bras. C’est Antonio, l’Andalou qui tient ici tous les emplois: réceptionniste, jardinier, barman. Il allume le sauna, demande s’il doit appeler la cuisinière pour ce soir, nous guide dans une chambre à trois lits.
- Ici, toutes les chambres portent des noms de fille. Je vous mets chez Lara.
Frère va courir, je dors. Plus tard, nous nous réunissons autour d’un feu avec les quelques habitants du lieu, des vieillards à béret qui herborisent, un couple qui pianote sur des tablettes, une femme sans âge qui se sert au frigidaire. Match de foot pour tout le monde, la drogue quotidienne des Espagnols. En quelques heures, nous dépensons plus d’argent en bière qu’Antonio n’en gagne par jour. Il nous parle de Montauban où il est allé ramasser des pommes, de son camarade parti en Suisse et déçu de constater que son salaire lui permettait tout juste de vivre sur place. Le lendemain, Antonio nous emmène sur la hauteur où une villa est en vente. Chemin dur taillé dans le roc et socle dynamité pour permettre de couler le béton de l’assise: un massacre. Le propriétaire habite Ibiza, explique Antonio, il a quatre-vingt ans. Nous considérons le bâtiment: trois étages pour créer une terrasse panoramique qui donne sur des milliers d’oliviers plantés dans la terre rouge.
- Il n’y a jamais habité, dit Antonio, tout est neuf.
Et de la lande, surgit le vieillard à canne qui la veille bougonnait le dos au feu en suivant le match:
- Je lui ai tout vendu, là… là et là. Cette partie là est encore à moi.