Culottes

A mon retour de Bangkok, je trou­ve dans les pub­lic­ités qui sont accu­mulées sur la table de la cui­sine une annonce pour une paire de culottes. Ven­dues CHF 39,90, elles sont en pro­mo­tion à CHF 29,90. Or, la veille, rue Ram­but­tri, j’ai payé cette même paire CHF 3.- Une fois déduit la somme qui revient à la marchande, le trans­port et quelques frais généraux, on établi­ra intu­itive­ment le coût de pro­duc­tion d’une culotte à CHF 1.- , ce qui four­nit une expli­ca­tion utile des mécan­ismes soci­aux de la Suisse et de la Thaï­lande. L’adulte suisse tra­vaille à la créa­tion d’un pou­voir d’achat qui lui per­met d’a­cheter en quan­tité des biens coû­teux (voiture, frig­ori­fiques, bateaux, skis, téléviseurs…) qu’il stocke dans un espace privé (apparte­ment, mai­son ou les deux à la fois) et garan­tit la durée par un sur­croît de tra­vail ce qui aboutit à une pos­ture para­doxale: il passe l’essen­tiel de son temps hors de  l’e­space privé et, ten­dan­cielle­ment, plus il rend cet espace accueil­lant, mois il en prof­ite. Au con­traire, le Thaï passe quinze heures quo­ti­di­ennes dans la rue, avec les siens, four­nissant à son tra­vail une énergie qui relève plus de l’ac­tiv­ité socia­ble que de l’ef­fort réel et le béné­fice de ce tra­vail a essen­tielle­ment pour fonc­tion de lui assur­er l’én­ergie de rester quinze heures par­mi les siens (soupe, riz, fruits, habits). Par ailleurs, lorsqu’il retourne chez lui, dans son espace privé, celui-ci étant incon­fort­able, partagé, le Thaïe ne fait qu’y puis­er l’én­ergie (som­meil) qui lui per­met de retourn­er dans la rue. Mal­gré tout ce que cette oppo­si­tion a de car­i­cat­ur­al (il existe en Thaï­lande une impor­tante bour­geoisie dont le mod­èle est occi­den­tale, des Chi­nois qui…), elle mon­tre que l’idéal d’une exis­tence selon la philoso­phie, si l’on entend par là qu’elle s’or­gan­ise d’après les grecs post-socra­tiques entre des amis devisant du monde, est beau­coup mieux réal­isé en Thaï­lande que dans notre pays.