Train

Cette fille dans le train pour Genève, midinette d’un cer­tain âge, les cheveux fins d’une enfant et des lunettes à mon­ture, qui s’assied en face de moi, tire d’un sac à la mode une revue trai­tant de la sur­veil­lance élec­tron­ique. Son pro­fil, l’ha­bille­ment, les manières d’une bour­geoise, rien ne lais­sait présager des préoc­cu­pa­tion intel­lectuelles de cet ordre.
- Intéres­sant?
Aimerais-je lui dire. Mais jamais, sur la dis­tance que par­court le train, elle ne relève les yeux. Puis en vue de Genève, comme elle range enfin la revue dans le sac, elle se tourne vers la fenêtre et se fige. Je ne sais pas m’y pren­dre. Ou plutôt, ne veux pas savoir. Com­plexe fon­da­teur. Ado­les­cent de même. Ce que je voulais, dans l’or­dre des buts intéressés, je ne me don­nais pas les moyens de l’obtenir. Cela me parais­sait vul­gaire. Lorsqu’il s’agis­sait d’un but général, c’é­tait le con­traire, je fai­sais des mir­a­cles. Cet approche d’un fou m’a con­duit très loin. Aimer par volon­té. Entre autres. Aujour­d’hui, dans le train, face à cette midinette, je n’é­tais ni motivé ni dému­ni. Et cepen­dant, alors que nous pre­nions pied en gare, je me suis arrangé pour penser, au moment où noyée dans la foule elle dis­parut, que je venais de man­quer une occa­sion unique d’ap­pareiller une rela­tion sur des idées com­munes; pire: que cette fille avait pris place à cet endroit dans le dessin d’obtenir que je lui parle.