Ce qu’on vous dit ne va pas sans con­séquences; ain­si ai-je accep­té sur pho­togra­phie la loca­tion d’un bun­ga­low dans l’île surpe­u­plée de Lippe. Debout sur un radeau amar­ré à quelques enca­blures de la plage prin­ci­pale je mets la main en visière: pas de grande activ­ité — il est 17 heures, le soleil baisse, des bateaux long-tail dansent sur l’eau. Débar­qués pieds nus dans l’eau, je porte la valise de Gala, la pose à plat dans le sable, elle s’assied dessus. Elle me tend un papi­er: Dayan resort. Je pars en quête de la clef. Le bun­ga­low, mitoyen et con­stru­it en dur, est adossé à la généra­trice qui le soir four­nit de la lumière au restau­rant. Nous nous instal­lons. Du bal­con je cherche les chi­nois et trou­ve des Ital­iens. En face, à gauche et à droite. Mais je devrais dire, je les entends car en bons latins ils s’adressent la parole en hurlant, sans s’ex­traire des bun­ga­lows. Des habitués de l’île qui fuient la rigueur de l’hiv­er, négo­cient un for­fait, déposent dès novem­bre enfants et bagages sous les bananiers et con­sul­tent inter­net du matin au soir pour vivre à l’heure milanaise. En face, les grands-par­ents, à droite un cou­ple, puis un autre cou­ple et quelques pièces rap­portées. Les enfants gam­badent entre les tombes des ancêtres de la famille, ancêtres couchés en sable avec offran­des de nour­ri­t­ure fraîche entre nos bun­ga­lows et le château d’eau. Côtés par­ents, physique aborigène et bracelet à la cheville. Intérêts pro­fonds: les pâtes (plus exacte­ment leur forme, que mange-t-on à midi, des fusili ou des penne?) et le café, moulu, tassé, cuit sur le réchaud — la Thaï­lande aime le Nescafé. Con­tre l’I­tal­ie, seul recours après le pois­son et la bière, les tam­pons auric­u­laires. Et puis non, je reviens sur la plage, je con­sid­ère le lieu: une mer­veille. Bruit des vagues qui clapo­tent au pied des tables du restau­rant, falais­es boisées par­cou­rues de pon­tons de bam­bous, lune per­chée. Je rejoins Gala, tassée dans le noir, nous dor­mons, et dis­crète­ment, avant l’aube, je pars marcher. Les macaques déguer­pis­sent à vue. J’ai une carte grif­fon­née et inutile. Après quelques sen­tiers emprun­tés au hasard je descend dans une crique où je me baigne, puis reviens sur la hau­teur et vis­ite les autres plages. A midi, plein soleil. Dans les quar­ante degrés. Les fonds de mer sont vis­i­bles à des kilo­mètres, splen­dides. Soudain, au cen­tre de l’île, une cat­a­stro­phe, une rue. Pour par­tie ens­ablée elle imite nos rues blanch­es: bars, kiosques, épiceries, agences, boulan­gerie, masseuses, bain d’im­ages et écoles de plongées. Sys­tème économique bien pen­sé, on cache ce que le touriste ne veut pas voir mais dont il ne peut se pass­er: la rue est habile­ment noyée sous la végé­ta­tion, on peut donc, à con­di­tion de ne jamais céder à la con­som­ma­tion, imag­in­er que l’île est vierge. Génie com­mer­cial des Thaïs. De même pour les prix de l’of­fre hôtelière. Ils par­courent toute la gamme. Sur la plage où accoste les bateaux (Patthaya beach), des vil­lages de bun­ga­lows qua­tre étoiles avec piscine et serveurs en linge blanc, en enfilade mais en sec­onde ligne, des bun­ga­lows en décrépi­tude adossés aux généra­teurs que les touristes cré­d­ules (mais aus­si les hip­pies milanais) réser­vent sur pho­to. Sur les deux autres plages, l’embarras du choix, et enfin, dans les mansardes des bâti­ments qui flan­quent la rue, au-dessus des fri­gos rem­plis d’al­cool, des dis­cothèques et des téléviseurs, des lits pour les routards pauvres.