Défilé joyeux et bavard des promeneurs dans les rues de Malaga en cette fin du mois de novembre. Il fait froid, du moins pour les Andalous qui portent ècharpes et bonnets où je me contente d’une veste légère sur une chemise. À deux pas de l’hôtel Atarazanas dont nous sommes à peu près les seuls clients, la rue du chocolat; sur le coup des seize heures, les tables qui l’encombrent se remplissent; lez voici bientôt toutes et les nouveaux venus font la file tandis que les serveurs apportent sur des plateaux d’argent des porras découpées au ciseau et versent le chocolat. L’Espagne qui chancelle et proteste semble être une invention des journalistes. Ici, ni immigrés ni mendiants roumains. Ils ne paraissent pas au centre, me dit une voisine. Cantonnés dans les faubourgs, cantonnés dans les quartiers d’immeubles des années 1970, cantonnés. Venus trop tard au banquet, ces gens-là évoluent dans des cercles secondaires. Pourtant la semaine précédente, installée près d’Alicante pour quelques jours, ma mère me disait ne plus reconnaître la société espagnole, une société brusquement appauvrie, lente, perdant le sourire, perdant consistance. À Torrevieja, au mois d’avril, je faisais le même constat. A Avila en revanche, comme à Malaga, sentiment d’un peuple qui résiste. Et qui, je le crois, résistera: la démocratie est encore jeune, le souvenir des temps martiaux vivace. Et puis l’espagnol est terrestre, il est anti-idéaliste. Si le paradis existe, il a son lieu, l’autre-monde. Dix fois je parierai l’Espagne contre la France. Pari facile: d’ores et déjà la France est en perdue.