Tourné d’af­fichage dimanche, de dis­tri­b­u­tion lun­di. Deux fois de nuit après une heure de pénom­bre. L’ado­les­cente que je forme pour me rem­plac­er regarde, je pose les affich­es. Nous allons à vélo, en zig-zag, un bus manque la ren­vers­er, nous repar­tons. Même plaisir qu’il y a vingt ans à vol­er à tra­vers la ville. Puis au café où je lui donne les con­signes: quelles affich­es arracher, recou­vrir, laiss­er, récupér­er, quels annon­ceurs priv­ilègi­er- ce n’est plus moi qui par­le, le dis­cours est imprimé, je tourne la maniv­elle, je le déroule. Sen­ti­ment inchangé de la van­ité du tra­vail. Et si le tra­vail garan­tit un statut social, pire encore. Me revient mon effare­ment le jour où, dans ce bureau où je ser­vais d’homme à tout faire, nous avons débal­lé un fax. Le patron le met en route et m’indique la tâche: envoy­er un doc­u­ment aux trois cent des­ti­nataires d’une liste. Je dis­pose la page sur le fax, je tape le numéro, la page file dans la machine, je la récupère, je bif­fée le numéro, je recom­mence. Le salaire que je reçois en fin de semaine est pro­duit par cette activ­ité. Je me représente le fax d’un côté et de l’autre l’ar­gent, Je me représente la répéti­tion, l’en­nui, la bêtise de l’ac­tiv­ité. L’ado­les­cente ren­tre chez elle. À l’évo­ca­tion du salaire ses yeux ont bril­lé. Ce mot signe son entrée dans le monde des adultes. Ce matin je pen­sais aux groupes de rock qui com­mençaient leur car­rìère il y a vingt ans lorsque je posais mes pre­mières affich­es. Atti­tude, paroles, musique, déc­la­ra­tions agres­sives. Con­damnés aujour­d’hui à con­firmer, à jouer à 60 ans avec la même rage, à tenir les mêmes propos.