Mois : juin 2011

La pri­vati­sa­tion des ressources vitales (l’eau, l’air) va de pair avec une social­i­sa­tion des ressources intimes (la pen­sée, la foi, la morale).

Le geste libéré donc libéra­teur du pein­tre, cet arti­san génial. Le geste mécan­isé, intel­lec­tu­al­isé de l’artiste instal­la­teur, ce manoeu­vre de luxe.

Le punk a qui l’on dit que c’est haut, que le bassin est peu pro­fond, qu’il ne devrait pas, qu’il va se cass­er les jambes, qui s’en moque et saute du mur des Réfor­ma­teurs. Il se relève, va boire. Tard dans la nuit, il l’ad­met, il a les jambes cassées. Et s’en réjouit, “je me suis cassé les jambes!”

Retrou­ver une forme d’é­goïsme, d’in­térêt pour soi, pour la place unique de son être. Pas une expo­si­tion des atours du moi, une con­fronta­tion sans témoin. La fausse empathie avec des hommes dont l’in­for­ma­tion nous con­te les mal­heurs étouffe nos éner­gies, nous déchire et nous dis­perse. Nous savons tous de ces autres qui sont absol­u­ment éloignés de nous, et chaque jour moins ce que nous sommes, voulons, pensons.

Voix heureuse de Stéphane Fretz, le pein­tre et l’édi­teur. Vraie pas­sion. Il par­le des livres avec une con­vic­tion tran­quille. Comme un laboureur de son champ, et de la promesse des saisons.

Ce qu’on croit nous dirige tant et plus que la volon­té. Je le mesure avec cette mai­son de Lhôpi­tal. Elle coupait les moines du monde tem­porel. Son ori­en­ta­tion a été conçue dans ce but. Elle ouvre sur l’hori­zon, le désert des médi­tants, et se ferme à la société. Mais ma croy­ance dans une évo­lu­tion cat­a­strophique de la société me ronge. Au lieu de débouch­er sur la cul­ture du vide, je demeure sus­pendu l’oeil rivé sur le créneau des murs.

Stiegler dans une con­férence rap­porte le Nu descen­dant un escalier de Duchamp au cap­i­tal­isme pré-indus­triel et Foun­tain de R. Mutt — c’est à dire de Duchamp — cinq ans plus tard à l’im­pact du tay­lorisme sur l’oeu­vre d’art. Analyse irré­cus­able mais typ­ique de l’or­gan­i­sa­tion du réel par la théorie.

Le Con­seil munic­i­pal de Lhôpi­tal. Six hommes assis sous le por­trait du prési­dent. La plomberie a des bor­bo­rygmes, la tapis­serie bique. Je fais le tour de la table, je donne des poignées de main, je me nomme devant le fils du paysan, le seul que je n’ai pas encore ren­con­tré. Puis le silence s’in­stalle. Voilà des mois que j’in­siste pour être reçu, pour dis­cuter avec mes voisins du régime de l’in­di­vi­sion, ter­rain cabossé de quelques mètres qui sépare la façade ouest de l’église de mon mur de pro­priété. Le maire, ancien chef de gare, m’a pour­tant expliqué: “ça ne se passe pas comme ça”. Nous atten­dons deux retar­dataires. La gêne finit par rompre le silence. L’un par­le des doryphores qui grig­no­tent les patates, l’autre du vent de car­rière annon­ci­a­teur d’une pluie cer­taine pour same­di. Je demande des con­seil pour chas­s­er les pucerons des plants de tomate. Bonne poli­tique — les dos sont déjà moins raides. Arrive la doyenne du vil­lage, dame médail­lée il y a un an ici même pour je ne sais quel prouesse, peut-être le fait d’être et d’être encore. J’ai enten­du dire qu’elle con­nais­sait un sen­tier qui mène de Lhôpi­tal à Hauteville par le bois, qu’elle seule détient cette con­nais­sance. Je me tais. J’ou­vre ma pochette et sors quelques feuilles au hasard ce qui fait dire au maire “nous allons com­mencer”. Mais l’élec­tricien invalide, Mon­sieur Mal­fait, lev­oisin qui vit sur le bord de la départe­men­tale, en famille dit-on, bien que je n’ai jamais vu entr­er ni sor­tir de sa mai­son quiconque sinon lui (Aplo et Liv ont remar­qué deux gamins der­rière une fenêtre close un après-midi de soleil), M. Mal­fait veut savoir ce que fait Vidia, la créole, une jeune femme qui vit dans la mai­son de bois léger récem­ment con­stru­ite et qu’on aperçoit à quelques dix mètres de la salle du Con­seil, au milieu d’une par­celle retournée. Elle se douche. Hypothèse qui per­met aux hommes de décocher quelques plaisan­ter­ies. Enfin la voici, accom­pa­g­née de sa fille, trois ans, qu’elle pose sur ses genoux. On m’é­coute. Je prends le par­ti de remerci­er (de quoi?), de m’ex­cuser (de quoi?), de démon­tr­er ma bonne volon­tée (pourquoi?), puis de sourire. Le maire me répond que “le pas­sage doit être lais­sé libre”, que l’an­cien pro­prié­taire avait cor­rompu le Con­seil et que cha­cun, jusqu’i­ci, avait préféré fer­mer les yeux, mais, bien enten­du, “aujour­d’hui, ça ne se passe plus comme ça”. Et de pro­pos­er la pose devant l’in­di­vis d’un por­tail en plas­tique. Je fais val­oir ma porte de monastère.
- Le but est que ce soit beau, dis-je.
Aucune réac­tion.
- Depuis mojn arrivée, j’ai fait ce que j’ai pu pour amélior­er le site, il serait dom­mage…
- Ce n’est pas notre prob­lème. Et si un jour vous êtes obligé de ven­dre.
- Obligé de ven­dre, non, mais peut-être qu’un jour, en effet, je vendrai.
- Là, n’est pas la ques­tion. Il y a des règles et il faut les respecter. Voyez…il est dit…” le pas­sage doit être lais­sé libre en tout temps…”
- C’est ce que je pro­pose.
- Non, Mon­sieur…!
Puis le maire se ratrappe. Il ne voit pas ce qui a jus­ti­fié ce “Non, Mon­sieur”, et baisse les yeux.
- Et si on allait voir…? leur dis-je.
- De toute manière, le ser­vice juridique tranchera.
- Vous par­lez de ces gens en cos­tume cra­vate qui tranchent un prob­lème sans le con­naître?
Le vieux paysan sur ma gauche remue, l’idée lui plaît.
En fin de compte j’ob­tiens de déplac­er le Con­seil. Le maire cherche une date… Il égrène son agen­da, très chargé, un agen­da de min­istre, pro­pose le lun­di… 18h30.
De retour dans la mai­son, je note: “glaçons” et “acheter pastis.”

Ecrire n’est pas une façon de vivre. C’est vivre d’une cer­taine façon. Le temps change de des­ti­na­tion. On existe moins pour le con­cert ami­cal et social, on creuse son abri et pro­duit des couch­es. Les bruits du monde s’éloignent, devi­en­nent plus proches, pénètrent le coeur.

Leçon d’es­pag­nol avec les enfants. Le bon­heur se lit sur leurs vis­ages à l’ap­pren­tis­sage de la con­cen­tra­tion. Ils se con­cen­trent pour plac­er dans al phrase des mots et des verbes que je viens de leur appren­dre et y parvi­en­nent. Pas de jeu péd­a­gogique. Des règles, leur appli­ca­tion, et con­stater que cela fonctionne.